Mitch Orr, chef et propriétaire d'ACME à Sydney, est surnommé par ses pairs le « prince de la pasta ». Avant d'ouvrir son propre restaurant en 2014, il a pas mal bourlingué à travers l'Europe – officiant dans différentes cuisines dont celle de l'Osteria Francescana considéré comme le deuxième meilleur restaurant du monde. Et il a un avis assez tranché sur les méthodes de conception de certains plats à base de pâtes.
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Pourquoi James Lowe, le chef du Lyle, un restaurant londonien étoilé, a invité Mitch chez lui pour y préparer un petit dîner d'inspiration italienne ?« J'étais un peu à court d'idées », plaisante James.
Pour comprendre les liens entre les deux gus, il faut remonter cinq ans en arrière. Si James accueille son confrère australien dans les cuisines du Lyle, c'est parce que les deux chefs se sont rencontrés lors d'une expédition « foraging » à Whistable organisée par des amis communs. Mitch débarque donc à Londres pour participer à une série de dîners exceptionnels que James a mis en place dans son resto pour mettre en valeur des chefs venus d'ailleurs.
Je les rejoins par un beau dimanche après-midi pour préparer avec eux les spaghetti, macaroni et casarecce qui seront au menu de leur dîner à quatre mains. Nous ne sommes pas dans les cuisines du Lyle mais dans un Jamie's Italian situé au nord de Londres.Cette chaîne de restos du très célèbre Jamie Oliver est en fait le seul endroit muni d'une machine à extrusion de pâtes dans toute la capitale britannique. Une machine à extrusion, c'est un ustensile qui permet à la fois de pétrir la pâte mais aussi de la presser dans une sorte de pochoir – qu'on appelle une « filière » – qui lui donnera sa forme finale.RECETTE: La vraie recette des spaghettis Carbonara de Mitch Orr
« Je me demandais où l'on allait bien pouvoir trouver une machine à extrusion, et puis j'ai appris que Jamie était invité à l'un des dîners, » explique Mitch. « Je me suis dit : s'il vient, autant qu'il serve à quelque chose et qu'il nous prête son matos. »
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Bien que sa présence à l'un de ces deux dîners ne soit pas confirmée, Jamie a bien prêté sa machine aux deux chefs. Mais comme il s'agit d'un Jamie's Italian, elle n'est pas tranquillement installée en cuisine. Non, l'extrudeuse est en plein milieu de la salle du restaurant, histoire que les enfants turbulents et les couples bizarres puissent l'admirer la bouche ouverte.Pas dégoûté, Mitch commence par expliquer à James le mécanisme de la machine. L'anglais a l'air concentré. Mitch enchaîne sur la texture idéale pour la pâte.« Il faut qu'elle soit assez sèche parce que sinon les pâtes ne garderont pas leur forme à la cuisson, elles se décomposeraient, » explique-t-il. « La plupart des gens humidifient beaucoup trop leurs pâtes fraîches. C'est sûr que c'est plus facile à travailler, mais le résultat est meilleur avec une pâte plus sèche. On n'a pas besoin d'ajouter de la farine avec nos pâtes fraîches. »
Mitch admet qu'utiliser la machine à extrusion requiert peu d'expertise. Mais son obsession pour la parfaite n'en est pas moins réelle.« On gagne en efficacité et en précision. La machine fait l'essentiel du boulot pour nous, c'est vrai, mais il faut quand même obtenir la bonne consistance en mélangeant exactement la bonne proportion de semoule dans l'eau, et il faut utiliser une semoule d'excellente qualité, » note Mitch. « Je fais des pâtes quasiment tous les jours. Je suis assez mesuré dans ce que je fais, mais je suis aussi très perfectionniste donc si je laisse quelqu'un d'autre le faire et que ce n'est pas parfait, autant que je le fasse moi-même. »
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Je regarde Mitch mesurer avec précision les spaghetti avant de les couper au ras de la filière. On dirait un coiffeur qui examine les pointes de cheveux d'un client avant de donner les derniers coups de ciseaux.
Je lui fais part de mon analogie mais ça n'a pas l'air de l'émouvoir. Au moins, j'aurais fait rire James.La machine est maintenant occupée à accoucher de petits tubes de . Pendant ce temps, James bombarde Mitch de questions sur la quantité de semoule et la texture de la pâte. On dirait que pour James, ces dîners sont autant une occasion d'organiser un bon gueuleton qu'un prétexte pour apprendre de nouvelles choses.« Quand on gère un restaurant, il faut savoir rester créatif malgré toute l'activité. Mais pour être honnête, je ne sors pas assez, » avoue James. « Ces dîners, c'est une opportunité pour moi de voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Je mourrais d'envie d'aller en Australie mais je n'ai pas réussi à trouver le temps pour faire le voyage. Donc je me suis dit 'Merde, je vais faire venir l'Australie à moi alors'. Chaque chef qui a été invité ici a laissé quelque chose sur le menu. »
À voir la fascination exercée par la machine sur James, on pourrait rapidement voir apparaître des pâtes fraîches au menu du Lyle.
« J'adore avoir de nouveaux joujoux. Il faut juste que je trouve comment faire des pâtes à l'anglaise », dit-il en référence à la cuisine réputée très anglaise de son resto. « Je suis sûr que si je me penche suffisamment sur la question, j'arriverai bien à trouver une recette du XIVe siècle qui fera l'affaire. »RECETTE : La recette des spaghetti alla Chitarra
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Je suis bien contente de ne pas être la seule hypnotisée par ces tubes de pâtes qui sortent de l'extrudeuse magique.
« », remarque Mitch. « Les gens rentrent dans le restaurant et restent fixés sur la machine alors que moi, ça ne m'amuse presque plus. »Une fois toutes les pâtes confectionnées, le duo saute dans la « Pastamobile » (la voiture personnelle de James rebaptisée pour l'occasion) avec ses bacs pleins de pâtes fraîches, direction les cuisines du Lyle.Celles que j'achète au supermarché en rentrant chez moi n'ont jamais été aussi tristes.