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Musique

on a demandé à un fondateur de la concrete comment ouvrir son club techno

Alors que la Concrete fermait ses portes le week-end dernier, i-D s'est entretenu avec Brice Coudert, directeur artistique et membre fondateur du lieu, pour faire le bilan de ses 8 années d'existence.

Le 26 juin dernier, on apprenait avec stupeur la fermeture de la Concrete, phare de la nuit parisienne vieux de huit ans, péniche infatigable au carrefour de line ups techno exigeants. Les raisons ? Des contraintes financières et administratives devenues trop fortes pour la bande de jeunes fêtards à l'origine de l'un des clubs électroniques les plus influents du monde. Alors que la péniche célébrait sa fermeture avec une fête de 50 heures ce week-end, i-D a rencontré Brice Coudert, ex directeur artistique et pilier de cette aventure techno pour comprendre comment lui et sa bande ont réussi à redynamiser une vie nocturne qui « mourrait en silence » avec un projet fou, porté par une forte ambition musicale et un créneau dingue : s'imposer, en plein Paris, comme un refuge pour toutes celles et ceux qui refusent d’aller se coucher. Ensemble, nous avons refait les matches clés de ces huit années et glané quelques bons conseils au cas où l'envie vous prendrait de monter un club parmi les meilleurs au monde.

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Monter un club, ça commence par trouver un lieu. Comment avez-vous trouvé cette barge ?

En 2011, avec Pete, Aurélien et TJ on avait ce projet de soirées itinérantes Twsted. Un jour que je sortais de la Sunday sur le quai de la Rapée dans le 12 ème, je suis tombé sur la barge de Concrete, flambant neuve. J’ai retrouvé les propriétaires qui m’ont fait visiter. Ils n’avaient pas la licence de nuit, c’est-à-dire qu’à 2h du matin il fallait fermer. Mais j’ai demandé : « Si on ouvre à 7h du matin et qu’on ferme à 2h du matin, ça va ? » (rire) Ils m’ont répondu : « Oui, mais c’est pour quoi faire ? C’est une rave votre truc ? » J’ai dit : « Non, non, c’est un truc à la cool avec des groupes disco. » En fait, la première sur le bateau c’était Matt John, San Proper, Dario Zenker, Grego G… Ça a été un énorme succès. Pour la suivante, histoire de respecter le principe de nos teufs itinérantes, on a trouvé un parking dans le 15 e. Coup du sort, des mecs ont découvert un squelette datant du Moyen-Âge dans le sol. Du coup, comme on n’avait rien d’autre, on est retourné sur le bateau. Et on a fini par se dire qu’on était trop con de vouloir lâcher ce plan. Si Twsted reflétait un délire plutôt cotillon, farfelu, éphémère, le mot « Concrete » contenait l’idée d’un truc solide, qui dure dans le temps. Et puis on trouvait aussi que le bateau ressemblait à une grosse brique de béton, et le béton, ça fait sérieux.

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Comment expliques-tu ce succès ?

Au début, comme il n’y avait rien dedans, ça faisait très industriel, très warehouse, très berlinois ou anglais, donc différent de ce qui se faisait à Paris à cette époque où Berlin n’avait pas la hype qu’on lui connaît aujourd’hui et où la culture club se passait surtout dans les « boîtes de nuit ». Les gens en avaient marre de ce vieux modèle de clubbing 00h-6h où à peine tu commences à t’amuser que ça ferme, des sets d’une heure et demi… Nous, on est arrivés en leur proposant des longs formats en journée, avec des sets de quatre heures d’artistes qu’ils ne connaissaient pas ou dont ils écoutaient la musique mais qui n’étaient jamais venus à Paris. Et puis, nous, des mecs à qui le public a pu s’identifier, une bande de jeunes, des shlags qui faisaient la teuf partout et pas des mafieux de 50 ans. Avant de le faire, je ne pensais pas non plus que c’était possible pour des jeunes comme nous de monter un club à Paris. Bien avant que je commence à organiser quoi que ce soit, j’imaginais déjà un DJ booth au milieu du dancefloor où les gens pourraient danser tout autour. J’étais môme, comme ça dans mon lit en train de l’imaginer et je revenais à moi en me disant : « Mais arrête, d’où toi tu vas ouvrir un club à Paris un jour ? Tu délires. » Et bien on l’a fait ce DJ booth et quand les premières personnes ont commencé à danser autour, pour moi, c’était un rêve qui se réalisait.

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Quel souvenir gardes-tu des toutes premières soirées Concrete ?

En 2011, pendant les premières soirées qu'on a organisées sur le bateau - les Twsted - la terrasse était l’endroit le plus populaire. C’était le feu, on envoyait le son à fond, on s’en foutait. Puis Twsted est devenu Concrete, c’était l’hiver et on nous a interdit de mettre du son en extérieur. On a eu peur que les gens ne suivent pas à l'intérieur et en fait, c’était encore mieux parce que tout le monde s’est rassemblé sur un seul et même dancefloor. À la fin de la journée, tout le monde se connaissait. ll y a même eu des couples qui se sont mariés après s’être rencontrés là-bas et qui ont carrément booké pour leur mariage certains des DJs qui y jouaient. C’était dingue.

Concrete s'est distingué en faisant jouer de gros artistes aux côtés de figures plus underground. Comment en êtes-vous arrivés à cet équilibre ?

En 2015, j’ai reçu un mail de l’agent de Richie Hawtin. Il lui restait une seule date dans l’année et il avait demandé à ce qu’elle se passe à Concrete. Je n'en avais évidemment pas les moyens mais il m’a proposé de lui rembourser ses frais, de payer les artistes émergents qui l’accompagnaient et de jouer gratuitement. Ça m’a fait réaliser le poids qu’on avait pris dans le milieu. Forcément, c'est le moment où tu te dis : « Vu qu’à présent je peux booker les plus gros artistes électroniques du monde, pourquoi ne pas me contenter de ça ? ». En fin de compte, j’ai choisi de faire un mix entre grosses figures et artistes underground. Bien sûr, il arrive que tu sois obligé de booker des artistes plus populaires, mais je m’impose une règle quand c’est comme ça : à chaque compromis que je fais, je fais un choix couillu derrière. Avec le risque que les gens ne vont pas kiffer du tout mais ça tu t’en fous (rire) !

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Raconte nous le premier « samedimanche ».

C'était en octobre 2016. Notre premier samedimanche… quand ça ne s’appelait pas samedimanche et qu’on n’avait pas le droit de faire samedimanche (rire) ! On l’a fait en loucedé parce qu’on était censé recevoir la licence 24 heures mais elle n’était toujours pas arrivée. Nous, on avait déjà tout prévu alors on s’est dit : « Balek, on le fait ». Pour la première fois en France, 5000 personnes faisaient le tour du cadran dans un club. C’était quasiment un festival. On a tout de même fait sortir les gens à 7h du matin pour les faire rentrer à nouveau dix minutes plus tard, histoire de rester dans la légalité, et nous l’avons fait qu’une seule fois, mais le fait de ne pas être obligé de fermer les portes quand les gens sont encore bouillants aux premières lueurs du jour, de danser avec le soleil qui se lève… Moi, c’est mon moment préféré et j’ai toujours été frustré de ne pas pouvoir l’offrir. C’est fou parce que dès le début je me faisais le scénario de l’aventure Concrete. Je voyais les objectifs : la licence de nuit, l’ouverture du club chaque week-end et pas seulement une fois par mois, le label, le DJ booth, le festival, réussir à fédérer la scène française… Mais la réalité de Concrete a supplanté tout ce que j’imaginais.

Justement, qu’est-ce qu’on se dit quand on réalise que son club compte parmi les plus influents du monde ?

Ah ! c’est le moment Fréquence Star (rire) ! Moi je suis un mec du ghetto, j’ai grandi à Garges-lès-Gonesse, ambiance cité, double culture avec mère musulmane, sœur handicapée, les huissiers à la maison, le gros bordel. Et je me suis retrouvé à faire de la programmation musicale, le métier que j’aime le plus au monde, à l’intérieur d’un projet à la portée internationale : c’est complètement fou.

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Ça ne t’a jamais mis la pression ?

Non, ça va. Ça va parce que je n’ai pas fait ça pour qu’on soit les plus connus, j’ai fait ça pour qu’on propose le meilleur. Mon seul objectif a toujours été de faire des programmations de qualité. À aucun moment je me suis dit qu’il fallait que je change de route dans mes choix musicaux, je faisais rarement de concessions et le club était quand même plein. C’était la folie. Même aujourd’hui, regarde, on ferme Concrete, on rebondit et c’est quand même la folie. Pas une seule seconde je n’avais imaginé un truc pareil.

Quelles ont été les grosses difficultés et comment les avez-vous surmontées ?

À un moment, notre réputation en a pris un coup à cause de problèmes liés à notre service de sécurité, trop dur avec les gens. Malheureusement, on ne s’en est pas rendu compte immédiatement, on avait la tête dans le guidon avec Concrete et tous les Weather à gérer. Résultat, une partie de notre public nous a boudé. On a géré ce problème très simplement : on s'est séparé de tout notre service de sécurité. Ce changement est arrivé en même temps que la licence 24 heures. D’un coup, il y a eu un vent incroyable dans le club, plein de gens qui ne venaient plus sont revenus. Il faut comprendre qu’en 2011, monter un club de musiques électroniques à Paris alors que tu pars de rien, c’est une succession de batailles. Chez nous, c’est surtout le président de Surprize (la société qui possède Concrete, ndlr), Aurélien Dubois, qui les menait. S’il n’avait pas été là, rien n’aurait été possible. Le plus beau, c’est que ces combats qu’il a remportés, d’autres acteurs de la scène française ont pu en bénéficier aussi - je pense par exemple à la reconnaissance du statut de DJ en tant qu’artiste.

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L’implication d’Aurélien au Conseil de la Nuit de la ville de Paris explique-t-elle en partie la longévité du club ?

Pas que. En réalité, ce sont toutes ses actions qui expliquent cette longévité.

Je te pose cette question parce que j’ai pu entendre par le passé certains collectifs qui vous taxaient de « vendus », du fait de votre proximité avec des personnalités politiques comme Jack Lang ou Claude Bartolone qui s’était notamment rendu au Weather Festival en 2015.

Ça c’est un réflexe de jeune rebelle. Nous, on n’est pas des rebelles, on veut juste que les choses se fassent. Et pour ça, il faut parler avec les politiques. Ça ne veut pas dire qu’il faut qu’on se mette à genoux, ça veut dire qu’il faut leur expliquer ce qu’on fait. C’est le gros du travail d’Aurélien : vulgariser nos actions et leur faire réaliser l’impact positif qu’elles peuvent avoir.

« Il faut faire régulièrement la fête dans son club, et la faire vraiment. C’est le seul moyen de prendre le pouls de la soirée, de voir ce qui marche ou pas, ce qu’il faut améliorer, de rencontrer son public. »

Aujourd'hui, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite monter son club ?

Pour commencer, je crois que la phrase « c’est pas ma came » est à bannir. Être programmateur de club, ce n’est pas défendre ta propre vision de la musique en bookant tes artistes préférés, c’est proposer un spectre aussi large que les goûts de ton public et du public que tu vises. Il faut se forcer à être curieux, à aller plus loin que ce qui te rebute… sans se trahir non plus. C’est à travers les goûts musicaux sûrs, aiguisés, que tu peux voir la différence entre les bons promoteurs et les moins bons. Certains ont diggué, d’autres pas assez et ça se ressent sur les programmations. Après, je dirais qu'il faut faire régulièrement la fête dans son club, et la faire vraiment. Pas du style t’es dans les backstages et tu fais du social, non, tu vas danser sur le dancefloor et tu te bourres la gueule si tu veux. C’est le seul moyen de prendre le pouls de la soirée, de voir ce qui marche ou pas, ce qu’il faut améliorer, de rencontrer son public… Je ne te dis pas de la faire tous les week-ends ! Mais il faut aimer la teuf et la pratiquer.

Et quels seraient les pièges à éviter ?

Les potes, c’est bien. Mais il faut faire attention à ce qu’ils ne soient pas ta seule source de retours sur ton club. Leur expérience n’est pas celle de tout un public et souvent l’avis d’un mec que tu ne connais pas t’apportera plus que celui d’un mec que tu connais. Il faut aller chercher cet avis et ça se passe souvent sur Internet : je lis les commentaires sur nos réseaux sociaux, même ceux des haters auxquels il faut savoir répondre quand ils ont tort ou écouter quand ils ont raison. C’est important d’avoir des opinions et de savoir les défendre. Ensuite, le truc dangereux dans le métier de directeur artistique, c’est de booker tes copains pour la seule raison que ce sont tes copains. Et c’est dur parce que des copains artistes, tu t’en fais vite quand t’es programmateur ! C’est chaud de dire non à un pote. Avant je passais par des subterfuges chelou mais aujourd’hui j’ai compris : je dis la vérité, que ce n’est pas mon délire, pas ce que je veux proposer en ce moment… Il comprendra. Et pour finir, je dirais que le meilleur moyen de se planter est de penser que ce que tu écoutes est forcément mieux que ce que les jeunes écoutent. Il faut se tourner vers la jeunesse, aussi bien en termes de public qu’en termes d’artistes.

C’est quoi la suite pour Concrete ?

On a annoncé notre nouveau projet intermédiaire « Dehors Brut » ! Ça nous laissera du temps pour construire un nouveau club ou pas, un Concrete 2 ou pas, on ne sait pas encore et on veut se laisser le temps d’y réfléchir, de tomber amoureux d’un lieu, dans Paris ou en banlieue très proche. Vous verrez bien !

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