L’étrange affaire du requin qui régurgita un bras humain
Illustration : Stephanie Hughes

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Crime

L’étrange affaire du requin qui régurgita un bras humain

Les autorités australiennes n’ont à ce jour jamais retrouvé le cadavre de Jim Smith.

Cet article a été initialement publié sur VICE Australie.

Avant 1935, les habitants de Sydney avaient rarement l’occasion de voir un requin de près, si bien que lorsque l’aquarium de Coogee en acquit un de quatre mètres de long, ils furent nombreux à faire le déplacement pour voir la bête.

Coogee Beach a planté le décor de l'un des meurtres les plus effrayants de l'histoire de Sydney. Le printemps 1935 fut une période tumultueuse pour le pays : la Grande Dépression battait son plein et un an seulement s’était écoulé depuis l'affaire de la fille au pyjama jaune, dont le corps calciné avait été retrouvé au bord d’une autoroute. Les habitants de Sydney avaient de toute évidence besoin d'un peu de légèreté.

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Les attaques de requins étant en hausse cette année-là, le propriétaire de l’aquarium, Bert Hobson, a pensé que le fait de donner au public l'occasion de voir de près l'un de ces prédateurs représentait une chance de sauver son entreprise. Mais à mesure que le public s’agglutinait autour de la bête, elle devenait agitée. Il ne fallut pas longtemps avant qu’elle régurgite un rat à moitié digéré, un oiseau… et un bras humain tatoué.

Les policiers furent alertés, mais ils étaient convaincus que l'incident était une farce – initiée soit par le personnel lui-même, soit par des étudiants en médecine locaux qui avaient trop de temps libre et un accès à des morceaux de cadavre. Pourtant, personne ne riait au moment où le bras présentant un tatouage de boxeur et une corde attachée au poignet fut repêché dans l'eau et amené au bureau du coroner. Les choses prirent une nouvelle tournure lorsque le coroner annonça que le bras n'avait pas été mordu par le requin, mais tranché à l’aide d’un couteau émoussé – ce qui était la preuve évidente d’un acte criminel.

La police se posait deux questions évidentes : à qui appartenait ce bras ? Et comment diable s'était-il retrouvé dans le ventre de la bête ? La presse s’est aussitôt emparée de l’affaire. Trouver le propriétaire du bras ne serait pas une mince affaire, étant donné que la technologie judiciaire, dans les années 1930, était plus que limitée. Une toute nouvelle technologie d'empreintes digitales a toutefois permis de relier le bras à un nom : l'homme en question était Jim Smith, un informateur de la police.

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Son frère a pu confirmer, grâce au tatouage, l'identité du bras lorsque l'image de celui-ci fut publiée dans le magazine Truth. Avant d’avoir des démêlés avec la justice, Smith aspirait à une carrière de boxeur. Il fut toutefois contraint de renoncer à son rêve après s'être rendu compte qu’il n’avait pas le niveau pour passer professionnel. Il a finalement trouvé du travail dans un pub, où il a commencé à tisser des liens avec la pègre. Parmi ses relations, Reginald Holmes, un riche homme d'affaires spécialisé dans la construction de bateaux, et l'une des dernières personnes qu’avait croisées Smith.

Reginald Holmes était un homme aux multiples facettes. En plus d'être un père de famille très aimé et un membre respecté de la société – il faisait souvent des dons à l’église –, il était aussi un trafiquant d'héroïne actif et un escroc en matière d'assurance. Il était aussi impliqué dans le secteur de la construction et employait Smith pour effectuer différentes tâches, comme arnaquer les constructeurs et sur-assurer les biens avant de les détruire dans des incendies criminels. Holmes transférait clandestinement de l'argent à Smith après chaque opération. Cela a continué jusqu'à ce que le malheureux scandale du Pathfinder ne coule leur relation plus rapidement que le yacht de luxe éponyme sur-assuré et amarré dans le port de Sydney. Le plan est tombé à l’eau et Holmes a dû payer de sa poche.

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Dans cette histoire, il y avait le cerveau et les gros bras, mais aussi le maître faussaire. Patrick Brady était un ami de longue date de Smith et trempait également dans la fraude d'assurance. Bien qu'il soit issu d'une famille honnête et travailleuse, il s'était éloigné de ce mode de vie pour se mêler à la pègre criminelle, après s’être découvert un talent pour l’imitation de la signature des généraux de la Première Guerre mondiale. Ce talent l'a mené jusqu'au port de Sydney, où il s’est associé à Smith et Holmes – formant de fait le trio criminel parfait.

Cette opération s'est poursuivie, malgré la chute de Holmes, alors que la dépression frappait impitoyablement l'Australie. La pression s’est fait d’autant plus ressentir quand Smith a commencé à faire chanter Holmes pour lui soutirer de l’argent. Il devenait impératif pour Holmes de se débarrasser de ce fardeau onéreux que représentait désormais Smith. Un soir, Smith a dit à sa femme qu'il allait pêcher. Au bout de quelques nuits, sa femme reçut un appel mystérieux d'un homme inconu : « Ne vous inquiétez pas… Jimmy sera à la maison dans trois jours. » Mais Jimmy n'est jamais rentré.

Les policiers chargés d'examiner l'affaire disposaient de peu d'éléments. Incapables de déterminer la cause exacte du décès, il leur a fallu suivre d'autres pistes. Ils savaient que Jim Smith avait été vu pour la dernière fois à l'hôtel Cecil, en compagnie de Patrick Brady, mais c’était à peu près tout. Ils ont finalement appris qu'il avait loué un petit chalet dans la rue Taloombi, à Cronulla (une ville littorale pittoresque qui continue d'être une destination de luxe au coût élevé) peu de temps avant sa disparition. Tout semblait indiquer que le chalet était l'endroit où le crime avait eu lieu. La théorie était que Brady avait pris un bateau et jeté le corps de Smith – enfermé dans un coffre – par-dessus bord.

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Les policiers ont alors commencé à enquêter sur les déplacements de Brady dans les jours précédant la disparition. Des chauffeurs de taxi coopératifs ont accepté de discuter des trajets effectués par Brady quelques jours avant la location du chalet. C’est ainsi que les policiers ont appris une nouvelle choquante : l’un des derniers trajets de Brady menait jusqu’à la résidence de Reginald Holmes. Jusqu'à présent, ils n’étaient pas au fait d’un quelconque lien entre Brady et Holmes. Il était temps de poser quelques questions à Brady.

Quand les flics l’ont finalement attrapé, ils l'ont interrogé sur des accusations de falsifications sans rapport avec l’affaire. Ils avaient besoin de lui au commissariat mais n'avaient pas de preuves suffisantes pour l’accuser de ce crime. Brady a subi six heures d'interrogatoire mais a refusé de dire aux policiers quoi que ce soit. Ce n’est qu'après qu’ils ont interrogé sa femme que le comportement froid de Brady s’est adouci. Il a finalement accepté de faire une déposition. Il a demandé un stylo et un papier, puis a écrit tout ce que les flics savaient déjà, y compris au sujet de son alliance avec Holmes.

S’ils voulaient avancer dans cette affaire, les enquêteurs devaient aborder le problème sous un angle différent : il était temps de mettre la main sur Reginald Holmes. En voyant les flics arriver devant chez lui, Holmes a pris la fuite sur son bateau à moteur. S’est ensuivie une course-poursuite qui a attiré une foule de spectateurs près du port de Sydney.

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Holmes a fini par exploser le moteur et a saisi son pistolet. Il aurait apparemment prononcé cette phrase énigmatique : « Jimmy Smith est mort et il n'en reste plus qu'un… Si vous me laissez jusqu'à ce soir, je vais le finir. » Il était de toute évidence sous l’emprise de l’alcool. Les flics s’attendaient à un échange de coups de feu, au lieu de quoi Holmes a braqué le pistolet sur sa tempe, a tiré et est tombé à l'eau.

Mais la balle n’a fait que l’effleurer. Vaincu, Holmes s’est finalement rendu à la police. Holmes, qui était initialement considéré comme le cerveau de toute cette affaire, a livré aux enquêteurs une histoire bien différente : il a affirmé que Brady avait tué Smith. Il a également raconté que Brady avait coupé le bras de Smith dans une tentative macabre de le faire chanter pour de l’argent. Pourtant, la précision avec laquelle Holmes décrivait le chalet de la rue Taloombi portait à croire qu'il en savait plus que ce qu'il laissait entendre. La police l'a accusé de complicité de meurtre. Il ne comparaîtra pourtant jamais devant les tribunaux.

Au matin du 12 juin 1935, l'enquête décisive du coroner s'apprêtait à commencer. La police alla chercher Holmes pour le traduire en justice. Avant même qu'ils n'arrivent à sa porte, ils le trouvèrent effondré dans sa voiture, garée dans l’allée – il avait trois blessures par balles sur le côté gauche de la poitrine. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre la situation : Holmes avait dû engager des tueurs à gages et mettre un contrat sur sa propre tête. Bien sûr, il n’avait pas orchestré tout cela sans avoir obtenu au préalable une solide police d'assurance-vie pour sa propre vie. L’assurance ne s'appliquait pas au suicide, et sa mort permettrait à sa femme et ses enfants de ne pas être sujets à la honte publique de sa condamnation. C’était là sa dernière fraude à l'assurance.

Brady n’a pas assisté à son procès. Parmi les personnes présentes se trouvaient la femme de Smith, la femme de Holmes et quelques chauffeurs de taxi prêts à témoigner contre lui. Au fur et à mesure des débats, le problème le plus flagrant était l'absence de cadavre. Ils étaient en possession d’un bras, mais personne ne pouvait prouver au juge que Jim Smith était réellement mort. L’autre problème était que Brady n’avait jamais été un homme violent : il avait commis des délits de falsification, certes, mais n’avait jamais été épinglé pour agression. Du haut de son 1 m 64, il était en outre impossible qu'il ait pu affronter Smith seul. Smith était beaucoup plus grand – il avait la carrure d’un boxeur. Au bout d’un jour et demi de procès, les charges ont été infirmées et Brady a été acquitté. Ce jour-là, Brady a quitté le tribunal en homme libre.

L'affaire du bras et du requin n'a jamais été officiellement résolue, mais certaines théories persistent. Quelques années après l'affaire, la femme de Brady a admis s’être rendue dans le chalet où séjournait son mari, qu’elle soupçonnait d’adultère. Elle a affirmé avoir entendu non pas deux personnes, mais un groupe d'hommes qui buvaient et jouaient aux cartes. Personne n’a jamais pu confirmer qui étaient ces hommes, mais l’historien australien Alex Castles a fait valoir que le meurtre avait probablement eu lieu au chalet. Mais Brady lui-même était en train de pêcher à l’époque, et c’est en rentrant qu’il a trouvé Smith mort. Il a gardé le silence à ce sujet, craignant pour sa vie. Si Brady n’a pas tué Smith, il avait au moins une idée de qui l'avait fait. Il a toutefois emporté ce secret avec lui dans sa tombe en 1965.

Jusqu'à sa mort, Brady était le seul survivant de l'affaire du bras et du requin. Dans une interview accordée à Vince Kelly, un journaliste criminel réputé dans les années 1960, Brady a expliqué que l'affaire n'avait jamais cessé de le suivre, et que les gens autour de lui murmuraient : « C'est Pat Brady le coupable. »

L'une de ses dernières déclarations s'est révélée vraie : « L'affaire du bras et du requin ne tombera jamais dans l'oubli. On s'en souviendra encore après ma mort. »