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La grande aventure de la pornographie nécrophile

Depuis presque 20 ans, des producteurs indépendants alimentent Internet en vidéos simulant des actes nécrophiles. Et pour quelques centaines de dollars, vous pouvez même faire réaliser votre propre scénario.

On aime à croire que seuls les tueurs en série les plus abjects sont capables d'être excités par des cadavres. Pourtant, les quelques rares travaux scientifiques qui ont été consacrés à la nécrophilie ont montré que des individus jugés sains par les psychiatres pouvaient très bien entretenir des pulsions morbides soigneusement dissimulées. Ils ont aussi prouvé qu'ils étaient sans doute plus nombreux que nous ne le pensons. Si vous n'en êtes pas convaincu, quelques requêtes bien placées sur Google devraient suffire. Les nécrophiles sont là, cachés à découvert. Depuis presque 20 ans, comme tout le monde, ils utilisent Internet pour regarder des cochonneries.

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Les images érotiques et pornographiques pour ceux qui fantasment sur la mort traînent en grand nombre sur la toile, réunies sous l'appellation "Death fetish". Bien sûr, toutes ne sont que des simulations ; les acteurs font semblant, le sang est faux, les impacts de balles sont ajoutés en post-production. Certaines d'entre elles ont été créées pour les nécrophiles stricto sensu. D'autres s'adressent également aux érotophonophiles, ceux qui sont excités par le meurtre. En général, ces films et ces photographies sont classés selon la méthode d'exécution qu'ils mettent en scène : pendaison, noyade, coup de couteau. Tous portent une grande attention à l'instant de la mort et au destin des cadavres, souvent féminins. Certaines dépouilles sont tout juste manipulées par les bourreaux, d'autres sont utilisées pour de véritables relations sexuelles.

De nombreux créateurs produisent ces images, mais l'homme qui règne sur cette niche parmi les niches se fait appeler John Marshall. A la fin des années 90, ce natif de l'Oregon a découvert un site web appelé Necrobabes, "un endroit pour les gens qui fantasment sur la mort". Moyennant 35$ par semestre, ses membres pouvaient accéder à des photographies de simulacres d'assassinats par arme blanche ou à feu, par noyade, par strangulation. Stimulé par ces clichés de jeunes femmes dénudées, à plat ventre dans leur bain ou aspergées de faux sang après un coup de couteau imaginaire, le jeune homme de 24 ans s'est décidé. La carrière cinématographique qu'il avait un temps convoitée avant de se rabattre sur des études de commerce était désormais à portée de main.

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A l'automne 1997, John Marshall s'est associé à un certain Hank Samuels pour fonder le studio Rue Morgue Entertainment. Par son biais, les deux hommes ont vite commencé à réaliser et distribuer des images érotiques pour fétichistes de la mort. Les films et les photographies signées par le duo rivalisent d'imagination et de débrouillardise pour contenter leur clientèle. Dans Drowning the girl, un homme noie sa victime dans une baignoire. Alors qu'il caresse la dépouille, il lance : "Tu ne vas pas te débattre maintenant, hein ?" Execution dépeint le kidnapping, l'exécution et l'inhumation d'une jeune femme par deux militaires parlant tour à tour anglais et espagnol. Les acteurs sont maladroits, les effets spéciaux ostensibles, les cadavres clignent discrètement des yeux : en général, les productions Rue Morgue Entertainment fleurent bon la série Z.

Un sbire moustachu qui donne tout sur une victime tout aussi convaincante.

Beaucoup de ces films ont été créés à l'initiative et selon les goûts de John Marshall et Hank Samuels. Cependant, les deux associés ont aussi réalisé bon nombre de vidéos sur mesure appelées "customs". Quand le site de Rue Morgue Entertainment était encore fonctionnel, il suffisait aux internautes de contacter les réalisateurs avec une idée de scénario, quelques fantasmes clairement formulés et une grosse poignée de billets pour obtenir leur friandise nécrophile personnalisée. L'offre la plus économique était facturée 800$ : pour cette somme, on pouvait commander une mise en scène d'exécution peu spectaculaire, avec asphyxie ou "plaie simple". Pour une pendaison, une noyade ou une blessure "complexe", la note grimpait à 1100$.

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John Marshall et Hank Samuels ont produit près de 400 films et plusieurs milliers de photographies avant de se séparer en 2006. Cette année-là, le premier a laissé au second le soin de gérer l'érotique Rue Morgue Entertainment pour se lancer en solitaire dans la production de pornographie pour nécrophiles et érotophonophiles. Aux commandes de son nouveau studio Peachy Keen Films (PKF), John Marshall s'est donné les moyens d'investir ce marché aux confins des tabous. Ses créations ont gagné en réalisme et son système de commande de vidéos personnalisées a été revu pour offrir plus d'options à ses clients. Au fil des années, le réalisateur a également diversifié son offre en ouvrant des sites dédiés aux fétichismes les plus exceptionnels, qu'ils impliquent des mutants et des manipulations temporelles ou des environnements médicaux.

Une production Peachy Keen Films.

Aujourd'hui, John Marshall a 46 ans. Grâce à la nébuleuse Peachy Keen Films, il est devenu l'un des réalisateurs les plus appréciés de la sphère numérique nécrophile. A l'en croire, il aurait réalisé plus de 3 000 films en 18 ans de carrière. 60% d'entre eux seraient des "customs". La demande d'entretien que nous avons fait parvenir au réalisateur vétéran été refusée sans ménagement. C'est une question de tranquillité : "Je ne réponds pas aux interviews parce que je préfère ne pas être dérangé par des individus qui ne comprennent pas le concept de fiction, a tancé le réalisateur. Par les temps qui courent, je redoute que les opinions bien-pensantes des conservateurs ne finissent par peser plus lourd que le raisonnement rationnel."

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Les efforts de préservation déployés par John Marshall sont représentatifs de l'état d'esprit de sa communauté. Sur le web, les nécrophiles s'efforcent de rester discrets, par choix autant que par contrainte. La plupart des grands hébergeurs de vidéos pornographiques comme PornHub ou Xhamster refusent ouvertement d'accueillir les images qui leur sont destinés, au même titre que les mises en scène de viols ou les vidéos zoophiles. Même les plates-formes étudiées pour permettre la diffusion de contenus fétichistes particulièrement pointus ne veulent rien savoir. De fait, celles et ceux qui fantasment sur la mort se sont retranchés dans leur petit coin du web.

Le carré nécrophile de la toile est ancien. Une visite sur la version archivée de Necrobabes suffit à constater que de nombreuses pages dédiées à ces fantasmes ont été ouvertes dès la fin des années 90. A l'instar du site qui a lancé John Marshall, elles proposaient des images truquées et des récits d'homicides fantasmés par leurs membres. Aujourd'hui, cette nébuleuse n'est plus accessible que par le biais d'archives du web. Les anciens de la communauté l'évoquent souvent avec nostalgie sur les quelques forums qui servent désormais de quartiers généraux aux nécrophiles. Beaucoup sont à peine fréquentés, délaissés à la faveur de quelques poids lourds visités quotidiennement par des centaines de personnes. L'un des plus récents porte le nom de Fet Noir.

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L'homme qui a fondé Fet Noir se fait appeler Christopher Brown. Ce Texan de 46 ans n'est pas peu fier de son rejeton, qu'il nous a décrit comme "un havre de paix pour les membres de la communauté, où les seuls indésirables sont les gens qui haïssent réellement leurs semblables ou qui souhaitent vraiment faire du mal à quelqu'un." Le meurtre, d'accord, mais jamais pour de vrai et toujours dans la bonne humeur. Le site propose de nombreux salons de discussion dédiés au fétichisme de la mort dans toutes ses nuances et sous toutes ses formes, de la poésie aux images animées. Cet éclectisme a fait recette : depuis son ouverture en 2012, Fet Noir a attiré plus de 2 000 membres. Le forum est assez populaire pour organiser un concours des meilleures artistes et productions nécrophiles de l'année, les Masterson Awards.

Fet Noir n'est pas le seul lieu de réunion de la communauté. Le forum Femme Fatalities compte près de 8 000 membres, celui des studios Peachy Keen Films en revendique plus de 3 000. Si leur niveau de popularité diffère, tous ces sites ont un point commun : ils sont adossés à une société de production. Femme Fatalities est relié au studio fétichiste Bluestone Silk Videos et l'on peut accéder à Fet Noir depuis le site officiel de Chris' Corner Videos, la petite entreprise de Christopher Brown. Depuis 2011, il y diffuse les films nécrophiles et érotophonophiles qu'il réalise lui-même.

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Bien qu'ils ne disposent pas nécessairement de leur propre forum, il existe beaucoup d'autres studios de ce genre ; John Marshall est loin d'être seul dans la course. A la manière de Rue Morgue Entertainment, la plupart proposent des films personnalisés à leur clientèle et ne dépassent pas l'érotisme lorsqu'ils mettent en scène des assassinats. Les victimes sont nues, les bourreaux manipulent les dépouilles, mais rien de plus. Quelques-uns se sont spécialisés dans une seule méthode d'homicide, d'autres dans un univers particulier. Les six sites de la galaxie Pontus Media Productions, par exemple, ne proposent que des films érotiques qui mettent en scène des femmes combattantes, amazones, gladiatrices ou soldates contemporaines.

Même dans le domaine extrême de la pornographie nécrophile, Peachy Keen Films ne concourt pas en solitaire. L'un de ses principaux compétiteurs, Psycho Thrillers, propose plusieurs centaines de titres focalisés sur l'asphyxie. Même s'il ne produit pas de films sur commande, l'adversaire commercial de John Marshall fait de grands efforts pour attirer les consommateurs. En plus de proposer des vidéos aux décors et aux scénarios variés, le studio en appelle régulièrement à des actrices pornographiques mainstream réputées. Son catalogue mentionne notamment Jada Fire, Sophie Dee et même Sasha Grey. Grâce aux productions de Chris' Corner Video, Christopher Brown prend lui aussi sa part du gâteau.

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De l'extérieur, le marché des vidéos nécrophiles semble florissant. Les studios sont nombreux et les productions variées. Cependant, ceux qui y travaillent quotidiennement martèlent qu'il s'agit d'un métier difficile et peu lucratif. Le rythme est soutenu, les clients difficiles et les pirates font des ravages dans les caisses. Christopher Brown nous a confié qu'il ne parvenait pas à vivre grâce à son métier : "En ce moment, je ne tire aucun bénéfice financier de ce que je fais. Avant, je gagnais de l'argent grâce à mes customs mais aujourd'hui, les clients savent qu'ils peuvent négocier. Nous avions pris l'habitude d'accepter n'importe quoi, mais aujourd'hui nous avons arrêté. Je peux écrire et produire mes propres films plus rapidement pour moins cher." En refusant de répondre à nos questions, John Marshall a tenu un discours similaire : "Les articles qui parlent de mon entreprise n'ont servi qu'à faire complexer mes très rares clients."

Même ceux qui gagnent de l'argent grâce à leur travail dans l'industrie nécrophile s'estiment peu enviables. Mick a 33 ans, il est réalisateur pour une société de films fétichistes sur mesure. Ses customs sont facturés entre 80 et 200$. "L'année dernière, j'ai gagné 50 000€ net, nous a-t-il affirmé. Ce n'est pas mal, mais il faut savoir que je travaille entre dix et douze heures par jour et que je n'ai ni vacances, ni dimanche." Chaque mois, il produit entre 20 et 30 vidéos customisées : "Je suis une société à moi tout seul, je dois tout faire. Je parle avec les clients, je cherche les acteurs, j'organise les tournages et je les effectue, je monte les films, je les livre, je les diffuse et je m'occupe de leur promotion." Il lui arrive même de jouer les assassins dans ses propres créations.

Quelle que soit la situation de ces studios, l'ombre de John Marshall plane souvent au-dessus d'eux. Christopher Brown a travaillé en tant qu'acteur pour Peachy Keen Films pendant de nombreuses années. Il a rencontré le patron de PKF par hasard, alors qu'il aidait un ami à tenir un club de strip-tease : "Un jour, John M. et un de ses potes sont venus découvrir notre établissement et nos danseuses, se souvient le Texan. Il m'a d'abord vu comme une opportunité plutôt que comme un acteur. J'ai organisé un tournage dans le club avec mes filles les plus sexy, et moi en tant que comédien. (…) Je crois que John a vu que nous avions de l'avenir ensemble." Après avoir passé plusieurs années ensemble, les deux hommes ont fini par se brouiller. Cette séparation a abouti à la création de Chris' Corner Films.

"Nous produisons du contenu fétichiste de qualité depuis des années et nous allons continuer à le faire jusqu'à ce que la planète explose."

A l'instar de Christopher Brown, Mick est devenu réalisateur de vidéos pour majeurs nécrophiles après avoir été chapeauté par John Marshall. Le patron de Peachy Keen Films l'a lancé sur le marché en louant ses talents de monteur en 2011, mais tout ne s'est pas passé comme prévu : "Ils devaient m'embaucher, mais nous avons eu quelques différends et ils m'ont poussé vers la sortie, nous a-t-il expliqué. C'est pour ça que je suis devenu un concurrent." En plus de sa tendance à l'embrouille, John Marshall se serait rendu coupable de quelques coups bas. Christopher Brown affirme en effet que son ancien patron l'a copieusement arnaqué après qu'il a lancé sa propre affaire : "John a trouvé le moyen de faire copyrighter mes 200 premiers films, même si c'était moi qui les avait tournés, réalisés, montés et diffusés. (…) J'ai laissé tomber l'idée de récupérer ma part des royalties."

Malgré les accusations formulées à l'encontre de son fondateur, PKF reste l'un des noms les plus appréciés de la communauté nécrophile. Sur NicheClips, une très discrète plate-forme de diffusion réservée au Death fetish, le classement de 25 meilleurs studios comporte cinq sites appartenant à John Marshall. Rue Morgue Entertainment y figure également : presque 20 ans après sa fondation et malgré l'agonie de son site officiel, le studio diffuse toujours ses films érotiques. Les nécrophiles vous survivront sans doute. Christopher Brown a conclu ses réponses à nos questions par ces quelques mots : "Nous produisons du contenu fétichiste de qualité depuis des années et nous allons continuer à le faire jusqu'à ce que la planète explose."