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Paris

Rencontre avec le collectif Vagina Dentata : le futur de la fête parisienne

Les soirées parisiennes ne sont pas mortes, mais elles ont des noms aussi débiles que "Merguez Électronique", "Chaudarland" et "On a prouté sur la lune".

Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation du collectif.  La soirée type commence un vendredi. Vous êtes rincé par une semaine de travail et votre seule envie c’est de griller les derniers neurones qui font passer du courant. Ne plus penser à rien. Enquiller des litres de bière comme l’évier d’une colocation après une grosse vaisselle. Cette course à la détente vous conduit dans des soirées piochées  à la dernière minute dans le grand saladier des suggestions d’events Facebook. Et vous y retrouverez les mêmes ingrédients d’une nuit décevante : entrée-consommations-vestiaire hors de prix, vigiles sur les nerfs, musique insipide, public irritant.

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Heureusement, un autre monde est possible. Depuis cinq ans, le collectif Vagina Dentata réinvente la fête parisienne. Ils sont quinze faces de vulve, à construire des événements de manière artisanale pour transformer la fête en expérience créative. Ici du circuit-bending, là de la sculpture et des bidouillages en tout genre.

 Eux, savent dénicher les lieux qui suscitent l’envie du déplacement, et les décorent avec originalité. Par jusqu’au-boutisme, les DJ se déguisent, les organisateurs vous maquillent et le Vagina Dentata crew vous propose une soirée inédite, sans vous faire les poches.

L’année dernière, pour passer une journée entière au festival des Merguez Electroniques à Montreuil, il fallait seulement débourser 5 euros. Aimantés par les bons plans estivaux, des centaines de fêtards se sont résignés à prendre le métro jusqu’à Montreuil, puis un bus pour grimper aux Murs à pêches. Devant l’ampleur de la file d’attente, un binôme de teufeurs s’est risqué à emprunter un chemin de traverse. Ils ont été reçus par un essaim d’abeilles défendant sa propriété. Les impatients ont finalement été accueillis par les organisateurs pour se faire enlever les nombreux dards plantés dans l’épiderme.

Après le festival « Chaudarland » ce printemps, les soirées « Vagina Glitch », « Funk Me In The Hasselhoff » ou  « On a prouté sur la lune » (un DJ a refusé de mixer dans cette soirée à cause du nom), le collectif Vagina Dentata revient en juin avec le festival  « Autonome » (plus d'infos ici et ) et l’envie de pousser encore plus loin la logique artistique. On a rencontré sous leurs noms d’artistes, Pamela (administratrice de production), Riposte (directeur artistique et président de l’association) et Anaïs (vidéo, identité visuelle) sous son nom de passeport.

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The Creators Project : est-ce que dans l’idée globale du collectif, on peut identifier deux objectifs : faire la fête autrement, et faire de la fête une expérience créative ? 

Pamela : Ah ouais grave, je suis grave d’accord avec ça, dans les deux cas. L’objectif, c’est vraiment de décomplexer. De ne pas venir parce qu’il faut être là. Mais juste de venir, parce qu’il y a un certain type de musique qui est diffusé et parce qu’il y a telle présence artistique, mais aussi parce que, dans sa globalité, l’événement a du sens et il réunit des gens qui vont pouvoir échanger autour de ce qu’ils viennent d’écouter sans que ce soit une discussion, accoudés à un bar et pas forcément très intéressante. Sans jugement aucun, mais c’est vraiment essayer de mettre en avant l’idée que, au-delà de la fête, il y a aussi cette dimension artistique  et qu’elle peut parfaitement se combiner avec la fête. C’est vraiment ce qu’on a essayé de faire avec Chaudarland et ça s’est bien passé.

Un exemple de combinaison ?

Pamela : On met de la vidéo dans tous nos événements depuis le début et pour le Chaudarland, on avait aussi envie de revendiquer le fait que ce n’est pas uniquement un atout, ou une présence supplémentaire qui est finalement supplantée par la musique.

Riposte : C’est un art à part entière, on peut venir spécialement pour ça. L’idée, c’était que les gens pouvaient venir voir un VJ comme ils pouvaient venir voir un DJ.

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Anaïs : Il y avait un côté un peu militant aussi, sans se prendre au sérieux. Clairement les VJ à Paris dans les soirées en club, ils jouent huit heures, ils sont payés une misère et ils apprennent, le jour même, quelle va être la programmation musicale. Donc ça ne leur permet pas de faire un bon taf. Là, le but, c’était de faire un vrai line-up de VJ, ce qui n’arrive franchement jamais à Paris, et de proposer, du coup, quatre VJ qui participaient à un échange. Il y avait des duos de DJ-VJ ce qui permettait aux gens qui ne s’intéressent pas particulièrement au Vjing  de découvrir une multiplicité de ce qui se fait à Paris, et de montrer que ce n’est pas tellement des images de décor, ou un truc illustratif qui va tourner en boucle. Et je pense que les gens ont été super réceptifs.

Riposte : Il y a eu un couple de VJ-DJ qui a hyperbien fonctionné avec Loup Blaster qui vient de Calais et qui est un peu connue.

Anais : Oui elle surtout connue pour son travail d’animation traditionnelle. Elle était avec tAsMo, du coup et c’était très intéressant de les voir travailler en ensemble.

Pamela : Pour l’instant, on se cantonne, entre guillemets, à la vidéo et à la musique. Mais finalement, ce n’est pas tout. On fait de l’action culturelle qui est liée à plein de trucs dans le collectif. Par exemple, il y a Aymeric, il est ébéniste-menuisier. Il y a donc aussi toute cette dimension qui pourrait venir s’ajouter de manière plus régulière à l’idée qu’on se fait de la création. Il y a plein de possibilités. On n’a pas de limites dans le propos.

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Riposte : Si on peut mettre en place une comédie musicale baroque-punk-électronique, on va le faire.

Anaïs : Je pense qu’on s’en est un peu approché avec les quelques soirées qu’on a faites ici, à la Péniche Antipode où c’était de la radio à voir, un show radio. On jouait beaucoup sur les déguisements, les personnages, sur la participation du public avec des jeux. Aymeric avait construit une roue géante, du coup on faisait gagner des cadeaux vraiment pétés. Les gens venaient, tournaient la roue, et ils tombaient sur un truc. Je crois que le mieux, c’était la croisière mystère. On a offert un trajet de RER D jusqu’à Vitry, les gens étaient hyper contents. Il y a un côté participatif qu’on a toujours envie de mettre en place. Le côté spectacle vivant nous fait un peu de l’œil.

Pamela : Pour en venir à ce point essentiel qui est la liberté du public et qu’on évoque tout le temps à chaque fois qu’on parle de VD, peu importe le nombre de personnes qu’il y a à l’intérieur tant que tout le monde se sent bien. Tant qu’on arrive à avoir la sensation que tout se passe bien, pour nous, pour eux et pour les artistes, de manière équitable et tripartite, on est content. C’est vraiment ça qu’on essaie de proposer depuis le tout début et ça marche bien parce que je crois que c’est convivial. Le fait qu’on essaie de donner une couleur dans la décoration, dans l’installation de chaque soirée, ça permet de donner un supplément d’âme.

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C’est plus que des petites installations… ça demande quoi en termes de travail ?

Pamela : Dernièrement pour le Chaudardland, c’était à peu près trois mois de boulot. Techniquement c’était le plus gros événement de l’année.  C’était la première fois qu’on construisait un festival de toutes pièces.

Est-ce qu’un des objectifs que vous avez aussi, c’est d’éclater la géographie classique des soirées parisiennes ?

Pamela : Déjà, oui.  Alors ce n’est pas forcément facile parce que Paris ce n’est pas une ville très accessible à ce niveau, donc il y a beaucoup de limites. Mais juste de trouver des lieux qui représentent un peu ce qu’on est.

Riposte : c’est vrai qu’en général, t’es un petit peu obligé de t’éloigner pour faire ce que tu veux.

C’était quoi par exemple la soirée « Vous n’avez pas fait le sud » à Vitry-sur-Seine ? 

Pamela : En fait, on est parti du constat qu’il y a énormément de trucs qui se passent dans le nord de Paris, dans le 93, le quart nord-est, etc.  Et en fait personne ne fait jamais la teuf dans le sud de Paris.

Riposte : Enfin maintenaient si, mais pas à l’époque, il y a 4 ans. Des squats avaient fermé en plus, et nous, on avait des potes qui avaient un local à Vitry, du coup voilà.

Et on arrive facilement à faire venir les gens dans ces endroits ?

Pamela : Oui, en fait, la communication d’un événement, pour la moitié, est liée au lieu. Les Merguez électroniques marchent vachement bien. Déjà, parce que je pense qu’on fait un truc cool, mais aussi parce que le lieu s’y prête vachement. C’est assez féerique comme espace.

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Riposte : On fait partie de ces collectifs où les gens viennent souvent pour une proposition. Ils ne sont pas forcément très au fait ce qu’on va passer, parce que ce n’est pas forcément des artistes connus comme dans les grosses structures, mais ils viennent pour une ambiance, quelque chose qu’ils vont retrouver et qui est commun à toutes nos soirées.

Quel avenir pour Vagina Dentata ?

Riposte : Notre but c’est de continuer à faire ce qu’on aime, toujours un peu plus grand, un peu plus fort. Mais on n’a pas de but mercantile.

Pamela : Après il y a aussi d’autres projets qui se profilent. Il y a aussi le côté créatif du collectif en soi, il y a vachement de gens de chez nous qui créent. Je pense que le collectif tend à devenir un label, à terme, pour produire ses propres artistes.

Riposte :

Dans la tête de certains d’entre nous, le label ça veut dire galette, ça veut dire réalisations vinyles pour que quelqu'un comme Anaïs puisse exprimer quelque chose de chouette sur la pochette ou le macaron, ça serait une autre étape quoi.

Pamela : Et puis au sein du collectif ya plusieurs artistes comme IILUXIIMORD, un projet hip-hop avec deux membres du collectif et parfois un musicien extérieur du collectif en supplément. Il y aussi l’artiste Fourmi, Philippe, le plus prolifique d’entre nous, il a plusieurs alias, il vient de sortir un scud sur Nocta Numerica où il s’appelle Raymond D. Barre. Après, il y a tAsMo, qui fait de la techno dub-ambiante, y a Louis Poutre, fantastique ! De la variété-pop-pédophile. Il y a le projet Fanascisme, dans le même genre synthé pop, sur scène c’est un duo en pyjama  avec des perruques, strass et paillettes. Il y a Anaïs en tant que graphiste et VJ avec Léo, monteur de profession et truquiste en motion design.

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Anaïs : On fait pas mal d’installations en VJing et mapping. Au Chaudarland, le but c’était de détourner le mapping traditionnel, super spectaculaire, sur des grands bâtiments, où on tire les grosses ficelles en mode feu d’artifice. Nous, on voulait plutôt partir sur l’idée d’inviter plusieurs vidéastes à se réapproprier  le travail de Rémi Andron. Il y aussi Mathilde qui est maquilleuse de profession. À des soirées elle va venir proposer aux gens de les maquiller selon son humeur, avec des résultats toujours bien hallucinants. Les gens sont toujours réceptifs, ce qui fait qu’on se retrouve tous avec des gueules bien marrantes à la fin de la soirée. On a énormément de Dj aussi. Si tu prends chaque personne individuellement, chacun a son truc qu’il creuse.

Riposte : C’est un esprit qu’on défend tous, dès qu’on a une possibilité d’exprimer quoi que ce soit, ça prend un peu cette tournure Vagina Dentata.

Pamela : On commence aussi à bouger de plus en plus régulièrement à Bruxelles parce qu’on est super pote avec le DJ Pute-Acier qui nous invite au café central et le duo Acid Mercenaries. Il y a aussi d‘autres villes à explorer d’autres territoires, d‘autres problématiques,  un autre public.

Riposte : Ce qui nous plaît vachement c’est de mélanger les publics. Quand on fait une soirée noctambule, il va y avoir des gens qui s’y connaissent en musique, des gens qui viennent juste parce que l’endroit est sympa, d’autres qui viennent par ouï-dire. Ça mélange les gens et ça nous fait kiffer. La journée, c’est cool aussi d’avoir des vieux, des badauds, des familles et des mecs qui sortent de club complètement déchirés, des mélanges culturels et sociaux, c’est ce qu’on aimerait faire le plus souvent possible. Et dans un endroit comme les Merguez [à Montreuil] c’est ça qui était cool. Comme on faisait gratuit pour les moins de 18 ans, tu avais les enfants de la cité d’en face, ou les enfants roms du coin qui se mélangeaient à toute cette faune parisienne, et c’est joli à voir. C’est quelque chose qu’on aimerait vraiment refaire.

Anaïs : Il y a quand même une scène aujourd’hui à Paris de collectifs comme ça qui se revendiquent avec une certaine éthique et une certaine volonté au niveau des prix pratiqués, etc. C’est assez chouette de se rendre compte qu’il y a cette intensité et qu’on n’est pas du tout les seuls. À Paris c’est encore possible de faire tout ça.

Pamela : Ça reste transversal partout, et c’est pour ça qu’on s’entend bien. On est aussi bien capable de parler d’art pictural, que d’art musical ou d’art vidéo, que de se bourrer la gueule et de faire la teuf comme des fous. À l’origine on a fait ça parce qu’on n’avait pas les moyens de sortir autrement, et finalement, ça devient une assez belle histoire.

Merci les gars.

Cette année le collectif VD a décidé de mettre les « Merguez électroniques » entre parenthèses. Les organisateurs veulent revenir à un événement plus modeste, recentré sur les activités artistiques et avec un nombre de places moins important pour ne pas saturer l’espace. Pas de 4ème édition donc mais un nouveau festival « frère », à l’ambition inversée.  « Autonome », le festival de la débrouille, où la musique sera reléguée au second plan. Il y aura des ateliers DIY avec du circuit-bending, un atelier bois, un atelier de gravure de vinyle en direct avec « Dix Lignes de Bling Dix Lignes de Blang »

Du samedi 11 juin au dimanche 12 juin, toujours  aux Murs à Pêches à Montreuil.  Rendez-vous sur l’event Facebook.