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Culture

Hélène Gugenheim change les cicatrices en or

Littéralement.
Hélène Gugenheim, "Mes cicatrices Je suis d’elles, entièrement tissé.", Marie, 13 de mayo del 2015. Foto: Aurélien Mole. Dorado: Manuela Paul-Cavallier

Si le corps pouvait raconter des histoires, les cicatrices en seraient sûrement les mots. Pour ma part, une marque de six centimètres sur mon épaule droite retrace un épisode de tatouage malheureux, aujourd’hui effacé, fruit d’un voyage à Amsterdam avec un ex. Une tache blanche sur mon avant-bras témoigne de mon moi bourrée de 16 ans tentant d’éteindre une cigarette sur mon bras. On n’a qu’une seule peau pour toute la vie — on peut toujours essayer de l’enlever mais ce n’est pas franchement recommandé. Les cicatrices sont donc les marqueurs de notre histoire personnelle.

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En mai 2016, l’artiste Hélène Gugenheim faisait la connaissance de Marie. Les deux femmes se changeaient et Hélène a aperçu la grosse cicatrice qui barrait l’emplacement d’un de ses seins — douloureux vestige d’une mastectomie. Dès qu’elle l’a vue, Hélène a pensé « Je dois mettre de l’or dessus ». Ainsi est né le projet « Mes cicatrices Je suis d’elles, entièrement tissé ». à l’aide de la photo et de la vidéo, Hélène documente le rituel d’application de l’or sur les cicatrices, encadré par un protocole mis en place par l’artiste.

Gugenheim est diplômée de l’École du Louvre, en histoire de l’art et art contemporain, et en muséologie. Après avoir fini ses études, elle a travaillé comme journaliste pour le magazine Métiers d’art, rencontrant des artistes dans leur atelier, découvrant des savoirs-faire. C’est ainsi qu’elle a découvert le kintsugi, comme elle raconte sur son site.

Kintsugi, ou kintsukuroi, est « méthode japonaise de réparation des porcelaines ou céramiques brisées au moyen de laque saupoudrée de poudre d'or », comme l’expliquait Blake Gopnik au Washington Post. Une mixture faite d’or et de laque ou d’époxy est placée dans les lignes de brisure d’un objet, rejoignant ainsi les fragments. L’objet endommagé est ainsi transformé, et à nouveau fonctionnel, avec ses fractures rehaussées d’or. Les défauts deviennent donc atouts.

Familière de et inspirée par cette méthode, Gugenheim savait exactement quoi faire lorsqu’elle a vu la cicatrice de Marie. Ce que l’artiste explique à The Creators Project : « Quand j’ai vu la cicatrice de Marie, j’ai vu un mélange de force et de fragilité. Je n’ai pas seulement vu la blessure, mais la guérison. À un moment ou à un autre, on est blessé : sur la peau, dans le cœur… On doit faire avec. Et on ne continue pas de la même manière qu’on le faisait : on doit trouver une nouvelle manière d’avancer. »

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Le nom du projet vient d’une phrase du livre de Gugenheim, Nights, publié aux éditions Gaspard nocturne en 2014. Elle dit qu’elle n’avait alors, lorsqu’elle a écrit ses lignes, pas l’idée de faire ce projet, mais le concept étant en gestation en elle.

Capture d'écran via

Gugenheim a développé un protocole particulier pour l’application de l’or sur les cicatrices. Le ou la participant•e entre dans son studio, se déshabille entièrement, fait un quart de tour sur la gauche en deux temps, puis se livre aux mains de la personne qui effectue la dorure. Cette dernière quitte ensuite la pièce, laissant la personne qui porte la ou les cicatrice•s seule, dans un « temps dédié à son expression personnelle », avant de retirer les feuilles d’or que l’artiste dépose enfin dans un flacon qu’elle remet au•à la participant•e.

Gugenheim précise : « La partie importante est lorsque je remet la fiole, [la personne] peut donc voir que la cicatrice est une chose précieuse en raison de la guérison. » Après avoir publié la vidéo avec Marie, l’artiste parisienne a commencé à recevoir des emails de personnes qu’elle ne connaissait pas, lui racontant des histoires liées des cicatrices, demandant à participer. Elle dit avoir été touchée. Cela l’a amené à renouveler l’expérience, en septembre 2015 avec Olivier, qui a subi de nombreuses autogreffes en raison d’un angiome sur la moitié du visage, puis en mai 2016 avec Clémentine, marquée par deux opérations pour greffer son col du fémur.

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Hélène Gugenheim, "Mes cicatrices Je suis d’elles, entièrement tissé.", Olivier, 15 septembre 2015. Photo : Florent Mulot. Doreuse : Louise Dumont.

Deux autres performances sont prévues en juin de cette année : avec Antoine, atteint de mucoviscidose, greffé des poumons et du foie, puis des reins ; et avec Olivier, atteint du syndrome Ehler-Danlos.

Chaque élément du projet est minutieusement choisi. Les doreurs sont personnellement choisis par Gugenheim. Le studio, dans le 6e arrondissement de Paris, où la performance a lieu, se trouve être un ancien atelier d’artisan. Le protocole s’inspire de la philosophie zen bouddhiste japonaise et de la cérémonie du thé au Japon, mettant l’accent sur le vide de l’espace et le comportement ritualisé.

Gugenheim espère réaliser dix performances au total. « Tout le monde a un corps, tout le monde a jour été blessé, et tout le monde guérit. La cicatrice est la marque de notre humanité. » Son projet, vulnérable et poétique, rappelle qu’on doit tous continuer à avancer avec nos blessures — émotionnelles ou physiques — et trouver notre propre façon de se réinventer, de se régénérer, de guérir.

Olivier, 15 de septiembre del 2015. Foto: Florent Mulot. Dorado: Louise Dumont

Mes cicatrices Je suis d'elles, entièrement tissé - Marie de Hélène Gugenheim sur Vimeo

Pour en savoir plus sur Hélène Gugenheim, cliquez ici. Pour l’aider à financer son projet, cliquez .