9 mots pour déchiffrer l’art de Basquiat

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Culture

9 mots pour déchiffrer l’art de Basquiat

Une nouvelle exposition sur Basquiat s'ouvre à Londres. L'occasion de se (re)plonger dans les punchlines, les graffitis, les obsessions, les motifs et les mots souvent obscurs qui ont élevé l'œuvre de l'artiste new yorkais.

Il suffit d’un coup d’œil rapide à la nouvelle expo du Barbican (à Londres), Basquiat : Boom for Real, pour saisir à quel point l’artiste new yorkais était amoureux des mots. De ses vieux cahiers de poésie aux graffitis plaqués sous le pseudo SAMO en passant par certaines de ses peintures les plus célèbres, Jean-Michel Basquiat a souvent utilisé les mots, les phrases, comme instruments de comédie et vecteurs de symboles. Ses références étaient souvent délibérément obscures, mais parfois plus directes : des clins d’œil à la télé ou au cinéma, aux boxeurs poids-lourd, à la mythologie égyptienne, la biologie, l’anti-racisme ou l’anti-capitalisme. On a décodé quelques-uns de ses mots, phrases et motifs les plus marquants.

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Basquiat dansant au Mudd Club, 1979, avec l’autorisation de Nicholas Taylor

Boom for Real
Le titre de l’exposition londonienne vient d’une punchline souvent prononcée par Jean-Michel Basquiat. On la retrouve d’ailleurs dans deux des peintures présentées au Barbican, Jimmy Best (1981) et Untitled (Crown) (1982). Eleanor Nairne, curatrice de l’expo, expliquait à i-D le jour du vernissage : « C’est une phrase très énigmatique et assez difficile à interpréter, et en même temps très claire, très directe et compréhensible : c’est une exclamation qu’il utilisait quand il voyait quelque chose qui l’inspirait. »

Jean-Michel Basquiat, Glenn, 1984, collection privée

SAMO© (as an end to)
Jean-Michel Basquiat à fait du graffiti pendant longtemps avec Al Diaz. Les deux artistes griffaient les murs de leur ville sous le nom de SAMO©, un raccourci pour « Same old shit », qui est devenu « Same old », avant de se transformer définitivement en « SAMO ». À deux, ils ont recouvert les parois de New York de déclarations puissantes, dont la plupart commençaient par « SAMO© AS AN END TO… », et la suite différait selon l’humeur : THE POLICE / ALL THIS MEDIOCRE ART / MASS MINDLESSNESS / THE 9-TO-5, WENT TO COLLEGE, NOT 2-NITE HOMEY BLUES.

Les trois lignes
Après avoir tagué SAMO© pendant un moment, Basquiat s’est mis à peindre trois lignes verticales, assez souvent, et à écrire les « E » des ses œuvres avec seulement trois lignes horizontales. Il n’y a aucune explication claire sur la signification de ce motif à trois lignes dans l’exposition, mais les curateurs ont relevé son amour des symboles en incluant deux de ses ouvrages perso sur le sujet : Symbol Sourcebook, de Henry Dreyfus et Flasg of the Spirit : African and Afro-American Art and Philosophy de Robert Farris Thomspon. Dans le livre de Dreyfuss, un motif similaire à trois lignes apparaît, référencé comme un « Hobo Sign » signifiant « This is not a safe place » (« ce n’est pas un endroit sûr »). Dans celui de Thompson, il est un « Dark Sign » afro-cubain signifiant « Attention danger ».

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Jean-Michel Basquiat en train de peindre, 1983, Photo copyright Roland Hagenberg

The Radiant Child
The Radiant Child est le titre d’un célèbre article écrit par le journaliste Rene Ricard dans la revue Artforum en 1981. Un article au fil duquel il met côte à côte l’œuvre de Basquiat, celle de Judy Rifka, de Keith Haring et d’un grand nombre d’artistes graffeurs. C’est à l’époque le premier grand article sur Basquiat, celui qui a averti le monde de l’art qu’il était idiot de fétichiser cette image « du génie incompris et jamais reconnu » : « Personne ne veut passer à côté du prochain Van Gogh. » The Radiant Child est aussi le titre d’un documentaire sorti en 2010, réalisé par une amie de Jean-Michel, Tamra Davis.

La couronne
Le symbole de la couronne à trois pics apparaît dans de nombreuses peintures de Jean-Michel, au-dessus de la tête des gens qu’il admirait et respectait, parmi lesquels le boxeur Jack Johnson et son ami Keith Haring. Dans son article The Radiant Child, Rene Ricard raconte avoir demandé à Basquiat d’où lui venait ce symbole. La réponse de l’artiste : « Tout le monde fait des couronnes. » Mais Rene ajoute : « Cette couronne est tellement propre au répertoire de Jean-Michel qu’il n’est pas important de savoir d’où elle vient. Elle est à lui, il a gagné cette couronne. Dans l’une de ses peintures, il y a même un signe ©copyright en dessous d’une couronne, avec une date écrite en chiffres romains impossibles à déchiffrer. On peut désormais le dire, il a posé un copyright sur la couronne. »

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Rammellzee vs. K-Rob, produit par Jean-Michel Basquiat, beat Bop record, 1983, avec l’autorisation de Jennifer Von Holstein

Les Africains d’Hollywood, et Beat Bop
En 1982, pendant un voyage en Californie, Jean-Michel et les rappeurs Toxic et Rammellzee commencent à se faire appeler les Africains d’Hollywood. En 1983, le trio apparaît dans une peinture de Basquiat du même nom, mais avec des dates remontant aux années 1940, comme pour souligner le manque d’opportunités pour les acteurs noirs d’Hollywood. C’est en tout cas ce que suggèrent les curateurs du Barbican, qui y voient aussi une possible référence à l’actrice Hattie McDaniel, première femme noire à remporter un Oscar en 1940 pour son rôle de Mammy, une caricature raciste de servante noire dans Autant en emporte le vent. Après leur retour à New York, Jean-Michel Basquiat et Rammellzee produisent un long single hip-hop de 10 minutes : « Beat Bop ».

Vitaphone
« J’ai l’habitude de rester devant la télévision. Je ne peux pas travailler sans de la matière en fond sonore ou visuel », explique Jean-Michel Basquiat dans un film de 1985 cité dans l’exposition. Inspiré par les programmes télévisés et les films qu’il regarde, le mot ‘VITAPHONE’ apparaît dans bon nombre de ses peintures – en référence à la technologie derrière les « talkies », où le son est enregistré séparément puis joué en synchronisation avec le film. Le texte de l’exposition explique l’obsession de Basquiat pour Le Chanteur de Jazz, le premier long-métrage à utiliser la technologie du vitaphone, dans lequel le personnage principal est interprété par un acteur blanc grimé en noir.

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Jean-Michel Basquiat, Sans titre, 1982, Musée Boijmans Van Beuningen, Studio Tromp, Rotterdam

Aaron
Sur une photo restée célèbre, Jean-Michel Basquiat se tient devant une toile dans un costume marron et un tee-shirt Adidas rouge, coiffé d’un casque de football américain. Sur le casque : un motif de couronne et le nom Aaron. Les commissaires du Barbican mettent en avant la diversité des références liée à l’identité d’Aaron, notant que qu’il pourrait s’agir du « joueur de baseball noir Hank Aaron (qui a battu le record de Babe Ruth en 1974) », avant d’ajouter que « Basquiat a peut-être fait référence à l’ antihéros noir de Titus Andronicus de Shakespeare et au frère de Moïse dans l’Ancien Testament, qui libère les Juifs de la servitude ».

‘Plush. Safe’ He Think
« Bon, je ne vais pas essayer d’interpréter ça pour vous » lance en riant la commissaire d’exposition Eleanor Nairne quand on lui demande d’expliquer cette formule. « Nous essayons de ne pas trop décoder ces premiers poèmes énigmatiques, précisément parce que c’est leur sens ambivalent qui les rend si intrigants ». Il ne vous reste donc plus qu’à y aller et à de les comprendre par vous-même.

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