Les orgues de Raphaël Lugassy sonnent dans le vide
Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation de Raphaël Lugassy.

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Culture

Les orgues de Raphaël Lugassy sonnent dans le vide

Après avoir tiré le portrait de tout un tas de célébrités et de mannequins dans des endroits superbes, le photographe français nous parle de son autre passion : les orgues.

Comme pas mal de petits Français issus comme moi d’une famille de tradition catholique, j’ai foutu plus d’une fois les pieds dans une église. Parmi les longues heures passées à supporter des litanies et chants ringards, je me souviens de l’observation méthodique et infinie du lieu dans lequel se déroulait mon calvaire. Dans l’église où ma famille se rendait, un orgue se trouvait dans le transept, à la droite du chœur. Je me rappelle en avoir scruté longuement les tubes, sans jamais vraiment chercher à percer le mystère de cet appareil tentaculaire en bois massif qui me fascinait. Lorsqu’un photographe rencontré à un vernissage m’a dit “tiens, j’ai un projet photo qui pourrait intéresser The Creators Project, c’est une série photo d’orgues”, ma première réaction a été une curiosité suspicieuse, me demandant ce que pouvaient bien donner des clichés d’un instrument essentiellement cantonné à la sphère religieuse.

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Ma seconde réaction a été une agréable surprise. Simplement intitulé Organs, le projet de Raphaël Lugassy consiste en des orgues se détachant d'un fond blanc dans une esthétique aussi léchée qu’un clip de Woodkid. Sans plus d’indices, ces clichés en noir et blanc font immédiatement penser à des navettes spatiales rétro-futuristes. Si l’analogie n’est pas voulue, l’effet est renforcé par le point de vue des clichés, qui saisit l’instrument d’en dessous, tel que le verrait un visiteur lambda dans une église, pénétrant dans la nef centrale et se retournant vers l’entrée de l’église, au-dessus de laquelle, en général, trône majestueusement l’objet en question. Après avoir parcouru la trentaine d’orgues qui composent Organs, je me suis interrogée sur ce qui pouvait pousser un jeune photographe athé, abonné aux portraits de célébrités dans Lui, GQ ou L’Optimum, à franchir le narthex d’une église pour découper des silhouettes d’orgues. J’ai donc recontacté Raphaël pour lui poser quelques questions.

The Creators Project : Salut Raphaël. Je suis tombée sur un vieil article de Dazed d’il y a trois ans où tu disais commencer une « série de photographie d’architecture basée sur les orgues ». Comment est né ton projet ? D’où te vient cette passion pour les orgues ?
Raphaël Lugassy : En effet, j'ai commencé ce projet il y a environ 3 ans, par intermittence. Dans un livre de photos sur le mouvement punk que je feuilletais, il y avait une image d'orgue dans un arrière-plan et j'ai été comme hypnotisé par la forme de cet objet. Je suis ensuite allé faire des recherches sur internet. J’y ai découvert que c'était un objet sacré (par l'évêque du diocèse), l'un des instruments les plus vieux du monde, l'instrument qui a la plus large tessiture… Dans sa construction, il y a un challenge architectural et musical à la fois. Ça faisait beaucoup de choses assez fascinantes.

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Tu procèdes comment lorsque tu photographies ces orgues ? Tu les choisis comment?
Il n' y a pas de règles, parfois j'ai l'autorisation du prêtre, parfois je m'installe sans autorisation car il n’y a souvent personne sur place. Les prêtres sont contents que l'on parle de l'Église d'une manière ou d'une autre. Je choisis les orgues par localisation géographique, en fonction de mes déplacements ou par facteur (fabricant d'orgue). Je me suis beaucoup servi de Google et de Google Maps.

Tu as combien d’orgues dans ta collection ? Jusqu’où es-tu allé pour en photographier ?
J'ai dû en photographier une cinquantaine mais une trentaine me plaît vraiment. Je suis surtout allé en Europe (France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Italie, Portugal, Autriche), mais j'ai parfois dû aller dans de tout petits villages perdus au milieu de l'Allemagne où se trouvait un orgue particulièrement beau.

Tous les orgues que tu as photographiés se trouvent dans des églises ?
Il y a pas mal d'orgues très intéressantes qui ne se trouvent pas dans des églises, mais dans des salles de concert. Dans ma série, il n’y en a qu’un seul qui ne provient pas d’une église : il est au Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière (CSNSM) à Paris.

Dans ta série, les orgues sont complètement sortis de leur contexte et semblent considérés pour leur esthétique pure. C’est ta démarche ou tu t’intéresses également à leur histoire ?
Je les libère de leur contexte car ils y prennent une autre dimension, il y a une perte d'échelle, une perte de poids aussi, ils semblent flotter. Et ils stimulent la propre imagination du spectateur, comme un genre de paréidolie. J’aimerais exposer ce travail avec des tirages très grands, très petits et de tailles moyenne — ça me paraît un bon système pour les libérer encore plus de leurs échelles respectives.

Merci Raphaël.

Raphaël Lugassy a un site, Instagram et aimerait bien sortir Organs en livre.