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Performance

Marching Church et Elizabeth Peyton : le retour de la douleur dans la peinture

Le leader d'Iceage tente de nous montrer que la peinture, la musique classique et le rock'n'roll ne sont pas mort.
Elias Bender Rønnenfelt fronting for Marching Church at National Sawdust+'s Presented and Curated by Elizabeth Peyton. Photo: Jenna Putnam. Images courtesy National Sawdust+

Elias Bender Rønnenfelt avec le groupe Marching Church lors de l’événement Presented and Curated by Elizabeth Peyton au National Sawdust+. Photo: Jenna Putnam. Images reproduites avec l’aimable autorisation de National Sawdust+

Je n’avais encore jamais assisté à un concert organisé par un artiste plasticien, encore moins quand ledit artiste a réalisé en peinture les portraits desdits musiciens. J’étais donc assez intrigué par l’événement Presented And Curated By Elizabeth Peyton. Peyton est réputée pour les portraits sensibles qu’elle a fait de certains figures de la culture pop comme David Bowie, Kanye West et Abraham Lincoln. Elle a également dessiné le compositeur et musicien Nico Muhly - le plus jeune des artistes à avoir reçu à une commande du Metropolitan Opera (le Met) - et Elias Bender Rønnenfelt, le ténébreux leader de Iceage. Ce mois-ci, les deux artistes ont été invités par Peyton à proposer une performance au National Sawdust+. Elle avoue que cette programmation n’était "qu’une façon de les réunir… Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça signifie réellement pour moi. J’avais seulement envie de les faire travailler ensemble."

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Pourtant, sa méthode de curation soi-disant irrationnelle et irréfléchie a donné lieu à une expérience à la fois riche et intrigante. Les compositions de Mulhy sont magnifiquement exécutées par Jannina Norpoth au violon et Adam Tendler au piano, tandis que Rønnenfelt joue avec son groupe actuellement en tournée, Marching Church. Le projet solo du Danois est devenu cette créature étonnante qui réunit ses compères de Copenhague, les artistes punk et expérimentaux de Puce Mary, Lower, Choir of Young Believers et Sexdrome. Devant une projection de la peinture Knights Dreaming (2016) de Peyton, les musiciens de Muhly délivrent une performance explosive des compositions "Honest Music" et "Drones and Violin", oscillant entre harmonies calmes et détendues, et déluges dissonants qui confinent à la colère ou à l’extase, voire aux deux.

Elizabeth Peyton E (Elias) 2013 crayon et pastel sur papier 8,75 x 6 inches (16,37 x 13,37 cm) copyright Elizabeth Peyton ; images reproduites avec l’aimable autorisation de l’artiste ; Elizabeth Peyton (Nico Muhly) 2016 Crayon de couleur et crayon pastel sur papier 8,6 x 6 inches (21,8 x 15,2 cm). Images reproduites avec l’aimable autorisation de l’artiste Puis les membres de Marching Church montent sur scène avant même que Norpoth et Tendler aient achevé "Drones and Violin". Le soundcheck de leurs instruments provoque le chaos pendant la fin de la deuxième pièce musicale, et Rønnenfelt fait immédiatement entendre son mécontentement aux spectateurs confortablement assis. Il n’est pas aisé de se rappeler le moment où les musiciens de Muhly ont quitté la scène, tant le piano et le violon se fondaient sans anicroches derrière Rønnenfelt. Le Danois instaure à cette performance un sentiment que décrit parfaitement le communiqué officiel de la sortie du premier album de Marching Church, This World I No Enough : "Même si l’on peut envisager Marching Church comme une dictature, This World I No Enough est le fruit d’un effort véritablement collectif", affirme ici Rønnenfelt. Tout aussi collaboratif que l’a été Presented And Curated By Elizabeth Peyton.

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Car comme Peyton l’avait prédit, l’association des artistes fonctionne très bien. Leurs parcours, divergents, les amènent pourtant à user d’un langage et d’une ambiance similaires. "J’avais repéré une véritable similarité entre ces pièces de musique classique et la façon dont Elias chante dans son groupe. C’était donc l’occasion rêvée", nous dit-elle.

Projection de Knights Dreaming de Elizabeth Peyton (2016). Photo: Jenna Putnam

Quelques instants à peine après le début de sa performance, Rønnenfelt est déjà en sueur dans son costume deux pièces bleu. Chacun des membres de Marching Church se détache des autres : le saxophoniste qui joue face au mur du fond comme Jim Morrison, le bassiste vêtu d’un veston éclatant qui partage le micro avec le guitariste, leurs bouches quasiment collées l’une à l’autre. Mais le centre de l’attention, c’est Rønnenfelt, sans doute parce qu’il provoque chez le public des réactions extrêmes. Chacun des mots qu’il prononce semble avoir été arraché à sa poitrine, et c’est évident que ses performances sont pour lui l’occasion de vivre à nouveau la douleur exprimée dans sa musique. Un éléphant dans un magasin de porcelaine… Je suis d’ailleurs étonné de ne pas voir le pied de micro voler à travers le public. Et avant même la dernière note de la dernière chanson, il quitte la salle en trombe. Les applaudissements sont tonitruants.

Avant le concert, Rønnenfelt et Peyton nous ont donné leur point de vue sur le concept de performance. Selon Peyton, "en tant que spectateur, la performance permet de se connecter et de vivre une expérience transcendante". Ce à quoi Rønnenfelt répond qu’il s’agit aussi de déconnecter : "la performance permet de se mettre à distance des gens. Comme toute forme de communication, c’est un moyen de transmettre quelque chose à quelqu’un d’autre." Sa réponse résume assez bien ce que j’ai ressenti pendant le concert : la déconnexion s’avère aussi puissante que la connexion, quand elle est provoquée par la ferveur de Marching Church. Et plutôt que de m’infliger la douleur de Rønnenfelt dans une démarche d’empathie, j’ai tout simplement choisi de savourer la brutalité de son expression dans chaque note et chaque mot.

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Rønnenfelt s’effondre au sol à la fin de sa performance. Il renversera plus tard ce verre de vin sans même y prêter attention. Photo: Jenna Putnam

"La musique classique, la musique rock et la peinture sont souvent considérés comme des médias du passé, qu’on imagine généralement incapables d’exprimer la réalité de notre époque", écrit Peyton sur la page de l’événement National Sawdust+. "Ces médias possèdent pourtant une spontanéité qui les rapproche de la communication humaine, dans la manière qu’ils ont d’exprimer le ‘maintenant’ (et toute autre forme d’émotion), une démarche magnifique, magique et troublante, aujourd’hui plus que nécessaire… le martèlement d’une touche de piano, la caresse du pinceau, un cri……. owwwwwwww." C’est ce qu’on retrouve en effet, entre mille autres choses, dans Curated and Presented by Elizabeth Peyton.

Écoutez Nico Muhly ici et Marching Church ici. Regardez les travaux de Elizabeth Peyton ici. Découvrez Curated and Presented by Elizabeth Peyton sur le site de National Sawdust+.

Reportage additionnel par Francesca Caposella