Le Guide Creators du jeune photographe

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Photographie

Le Guide Creators du jeune photographe

10 recommandations avant de vous ruiner pour un 5D.

Pour Antoine d'Agata, un des photographes hexagonaux les plus brutaux et transgressifs encore en activité, les trois valeurs essentielles qui agitent la photographie contemporaine sont « le cynisme, la corruption et la médiocrité ». Ainsi gisent les trois côtés du triangle qui encadrent le paradigme de la nouvelle photographie française. Faut-il traîner avec d'autres photographes pour réussir ? Peut-on honnêtement se passer d'une école ? La pauvreté est-elle une fatalité dans ce milieu ? Alors que les Rencontres d'Arles ouvrent leur portes d'ici une quinzaine de jours et Visa pour l'Image dans deux mois, voici nos 10 commandements pour connaître une brillante carrière dans un des pires milieux culturels de France.

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1 - SOYEZ ZOË KRAVITZ
Et, en plus de profiter d'une solide rente paternelle, devenez égérie pour un des premiers fabricants mondiaux d'appareils photographiques, en prétendant doser le PowerShot G1. Canon, sans le toucher une seule fois.

Ladite Zoë et son Canon

2 - VOUS N'ÊTES PAS ZOË KRAVITZ
Attendez-vous à travailler dur. Ce n'est pas vraiment le genre de la maison de porter ce genre de conseils, mais, si vous n'êtes armé que de votre sensibilité et de votre énergie créative, un passage dans une école de photographie pourrait s'avérer utile. L'École nationale supérieure de la photographie d'Arles — au hasard —, accepte tous types de dossier de candidature jusqu'à 30 ans.

Ici comme ailleurs, ce n'est pas tant la qualité de l'enseignement dispensé qui fera la différence sur le long terme, mais les très nombreux partenariats de l'école avec des festivals, institutions ou galeries. Autant de mises en réseau qui vous feront monter quelques précieuses marches dans la chaîne alimentaire de la photographie, à condition de minauder avec succès face aux programmateurs de ces lieux d'expositions comme des différents intervenants pro de l'école. Exercice de séduction dans lequel les étudiants apprennent vite à exceller. Ce qui vous informe au passage du niveau d'honnêteté et de solidarité qui règne dans le milieu.

La reporter de guerre Christine Spengler, Stéphane Couturier, Lorenzo Vitturi, Mikael Levin ou la critique d'art polonaise Anka Ptaszkowska font partie des éminents conférenciers que vous pourrez croiser durant votre formation… Si toutefois vous survivez à trois hivers en Arles.

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Wannabe photographes

3 - ENCHAÎNEZ LES WORKSHOPS
Si la dimension scolaire est absolument rédhibitoire à votre apprentissage, tentez les workshops. Tous les photographes, même les plus grands, ont besoin de ces masterclasses internationales pour remplir leur frigo. Presque tout le monde est pauvre dans ce milieu, nous en reparlerons. Ainsi Roger Ballen, Anders Petersen, Jane Evelyn Atwood ou Michael Ackerman se mettent régulièrement à table, tout au long de l'année, aux côtés de jeunes photographes. Ces ateliers sont évidemment hors de prix pour des bourses étudiantes, mais vous donneront un accès quasi illimité au cerveau de vos idoles, durant trois à six jours. L'expérience est réputée intense et très déstabilisante, surtout lorsque les vocations sont fragiles, comme nous le confiait récemment Antoine d'Agata, dont les workshops ont réuni à ce jour plus de 1400 étudiants.

4 - RÉFLÉCHISSEZ DEUX MINUTES
…avant de vous lancer dans un bouquin. L'économie du livre de photographies étant ce qu'elle est et vous étant vous, vous êtes en train de vous tirer une balle dans le pied. Au mieux, à la fin de l'aventure, vous ne récupérez qu'une centaine d'ouvrages, pour vos petits-enfants. Si vous décidez malgré tout d'y aller, sachez que la majeure des éditeurs de livres photos ne vous adresseront la parole qu'à partir du moment où 80% des images du futur ouvrage seront produites, éditées et ready-to-print. Par vous-même évidemment.

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Ensuite, il vous faudra ramener du financement : crowdfunding, subventions publiques (LOL), valise de cash ou chèques volées. En échange de plusieurs centaines d'euros, certains éditeurs vont jusqu'à « louer » leur logo, que le jeune auteur a alors le droit de faire apparaître sur la tranche de son ouvrage. Et ainsi prétendre — sans sourciller —, être rentré au catalogue d'untel ou d'untel. Souriez, vous êtes devenus packager.

5 - ATTENDEZ-VOUS À ÊTRE PAUVRE
Et même, très, très pauvre. Depuis mai, le minimum pour une pige photo a été fixé à 60 euros, pour « un temps minimum d'exécution » de cinq heures. L'acquisition, le remplacement ou le renouvellement du matériel photographique reste évidemment à la charge du « salarié » : « sur le papier, ce décret équivaut à un salaire mensuel brut de 1820 euros », explique le Syndicat National des Journalistes CGT. « En fait, pour arriver à ce salaire, le pigiste doit travailler 30 jours, sans aucun jour de repos. La réalité est bien différente, puisque le pigiste n'enchaîne plus qu'une poignée de commandes dans le mois, et dans le meilleur des cas. »

La photographie souffre d'un niveau de précarité absolument inédit. Abandonnés par les politiques — comme en atteste ce récent décret, cosigné de main de maître par Myriam El Khomri –, dépouillés de subventions sérieuses ou d'aides à la création, globalement absents des grands ensembles muséaux à moins d'être mort, enterré et célébré… Les photographes se tournent vers des financements hautement concurrentiels comme les prix, les résidences et autre fonds de dotation. Chopez une version craquée d'InDesign et armez-vous de patience : votre activité de photographe va consister à devenir une bête à concours, forcée de passer un nombre d'heures indécent à composer des dossiers de candidatures et autres .pdf de présentation.

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6 - NE TRAÎNEZ AVEC AUCUN PHOTOGRAPHE
Personne ne paye jamais sa tournée et vous n'apprendrez rien que vous ne savez déjà. Pire : vous vous exposerez à mille coups bas, projets de merde, crises de jalousie et angoisses collectives. Si vous tenez à tout prix à traîner avec des créatifs, préférez la compagnie intéressée de graphistes (pour leur choper la suite Adobe), de journalistes (qui vous réécriront vos projets de candidatures) ainsi que de développeurs (qui s'occuperont de votre site).

Comme Kristen Stewart, apprenez à photographier les yeux ouverts.

7 - ARRÊTEZ DE CROIRE EN DIEU
Ni dans le fonds de dotation Agnès b., ni en d'obscures divinités païennes comme Kisskissbankbank.com, KickStarter ou Ulule.com. Inutile de forcer la destinée de vos images grâce au financement participatif et vos appels aux dons culpabilisants : si votre projet n'a pas rencontré l'éditeur, le curateur ou le producteur escompté, c'est juste qu'il est à chier.

8 - CHOISISSEZ BIEN VOTRE CAMP
Oh bien sûr, certains d'entre vous pourront faire une brillante carrière à l'aune du cynisme, de la corruption et de la médiocrité. Pour les autres, attendez-vous à être apatride. Selon votre spécialité, votre présence sera autant dérangeante à Gaziantep qu'au Festival d'Hyères. Il n'y a pas de terre d'accueil pour les bons photographes. Raconter la violence et les désordres du monde, questionner les réalités esthétiques, déconstruire le langage photographique ou décoloniser les imaginaires implique de vivre en apnée, sous une discipline de fer, imposée par vous seul.

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« La photographie a toujours eu plus à voir avec les ego qu'on trouve derrière l'appareil que la pure production d'images », nous confie Anders Petersen. « Aujourd'hui, la condition de photographe véhicule encore de nombreux fantasmes, un quotidien sublimé, limite glamour. Ce qui fait évidemment l'affaire des écoles de photographies, qui ne désemplissent pas. Or, la réalité professionnelle est tout autre. L'action même de déclencher, de photographier, les shootings ont lieu dans l'urgence, et sont enchaînés presque main dans la main avec l'éditing et la parution ou la restitution au grand public. Dans ce cadre de production, où la rapidité domine, le temps de la contemplation et l'éloge de la lenteur semblent appartenir à une époque perdue. Résultat ? Le monde de la photographie apparaît désormais comme une violente tempête d'images, ou le regard n'a pas le temps de s'éduquer. La quête de la bonne image, de la belle image, de l'image juste parasite le geste photographique. Ils agissent comme des bêtabloquants pour les émotions. Lorsque nous sommes en atelier, c'est précisément à l'encontre de ce genre de principe esthétisant que nous travaillons. L'idée est d'aller à l'os des émotions. Pour donner à voir ses sentiments. Au cœur des individualités, des histoires de vies, des savoirs de chacun… Afin que chacun aille au plus près de son moi créatif. Afin que chacun assume sa propre subjectivité. »

9 - SOYEZ AUDREY TAUTOU
Et devenez ainsi, comme tous les ans, la caution « peuple » des Rencontres d'Arles. Vincent Pérez en 2014, Mathieu Chedid en 2015… Cette année, c'est au tour d'Amélie d'être mise à l'honneur, avec une exposition solo programmée dans le in des Rencontres. L'idée de son projet, Superfacial ? « À travers une série d'autoportraits réalisés en argentique et montrés pour la première fois au public, Audrey Tautou explore son image tout en se jouant de son statut de célébrité ». Un beau message à l'attention de la jeune scène créative de France, qui appréciera cet encouragement dans toute sa portée symbolique.

10 - SOYEZ KRISTEN STEWART
Et attendez tranquillement le coup de fil de Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d'Arles.

Théophile prend quelques photos sur son site.