La Garde civile arrête des enfants qui escaladent le mur du port de Melilla, en 2014. Toutes les photos sont de José Colón.
Mohammed était avec ses amis quand une dispute idiote autour d'un sandwich a éclaté et donné lieu à une bagarre. Mohammed a été arrêté et doit se rendre chaque semaine au Centre El Baluarte pour jeunes délinquants, sinon quoi il sera expulsé de Melilla, une petite enclave espagnole située sur la côte nord-ouest de l'Afrique, qui partage une frontière avec le Maroc.Mohammed a passé les quatre dernières années à naviguer dans et hors du système destiné à protéger de l’expulsion les enfants étrangers non accompagnés de Melilla. Selon le ministère espagnol de l'Intérieur, l’Espagne compte plus de 13 000 enfants comme lui, dont 68 % sont Marocains. Ils sont connus sous le nom de « MENAS », pour « Menores Extranjeros No Acompañados » (« mineurs étrangers non accompagnés » en français).Seules l'Andalousie et la Catalogne ont accepté plus de mineurs non accompagnés que Melilla – 5 704 pour la première, 1 870 pour la deuxième. Mais avec les 1 184 mineurs enregistrés de Melilla, qui représentent 1,5 % de sa population, la ville a le taux le plus élevé de mineurs comparé aux résidents.De 2017 à 2018, le nombre total de MENAS vivant en Espagne a doublé, passant de 6 414 à 13 012. Le système d'accueil MENA a commencé à s'effondrer au cours de cette période, alors qu'il s'efforçait de fournir des soins appropriés à ces jeunes gens. En conséquence, beaucoup d'enfants ont commencé à abandonner les établissements pour tenter de trouver leur place au sein des communautés locales. Cela a engendré des tensions entre les résidents locaux et les jeunes, avec trois attaques menées contre des centres pour enfants migrants non accompagnés près de Barcelone rien que cette année.« Mes parents m'ont conseillé de retourner à Casablanca, avoue Mohammed. Ils disent que sinon, je vais mourir dans la rue. » Quand il parle à ses parents au téléphone, il leur assure qu'il va bien et qu'ils ne doivent pas avoir peur, car au Centre El Baluarte, on lui donne de la nourriture, une douche et un lit. « Ils vont me donner les papiers », leur dit-il.L'histoire qu'il raconte à ses parents n'est que partiellement vraie. Ils ne savent pas que le maigre adolescent de 16 ans a vécu et dormi dans la rue pendant au moins deux ans. Si la police ne l'avait pas arrêté ce jour-là, il serait probablement encore dans la rue, comme près d'une centaine d'autres mineurs à Melilla, selon le dernier rapport du Département de la protection sociale.Yassin fait partie des enfants qui ont fui de chez eux et n’a nulle part où vivre. Il est tellement défoncé quand on se rencontre qu'il est à peine capable de parler autrement qu’en murmurant. « Je vais bien, dit-il difficilement. Je viens de sniffer de la colle, pour oublier. »Son pote Salah, 13 ans, parle en son nom. Leurs familles se trouvant à plus de 200 km, il me dit que se défoncer les aide à oublier à quel point ils se sentent seuls. Ils sniffent jusqu'à l'aube, après quoi ils essaient d'atteindre l'Espagne continentale. « Je n'aime pas le centre, dit-il. Je préfère être dans la rue et essayer de me faufiler dans un camion. » Il essaie tous les jours et se fait prendre à chaque fois.Quand je lui fais remarquer qu'il est très jeune pour faire ça, il ronchonne. « J'ai 15 ans au Maroc, répond-il. Quand je suis arrivé à Melilla il y a un an, j'ai fait des tests et ils ont cru que j'avais 12 ans. » Aux portes de l'Europe, l'âge est un autre obstacle. Les autorités n'assument que la tutelle des mineurs dont l'âge a été confirmé par des preuves médico-légales approuvées par les procureurs. S'il est décidé qu'un enfant a plus de 18 ans, il est immédiatement exclu du système de protection.Dans quelques mois seulement, Megdoulin ne sera plus mineure. Elle est arrivée à Melilla il y a moins d'un an et ne sait toujours pas si son permis de séjour sera prêt avant son anniversaire. Quand je la rencontre, elle s’apprête à aller déjeuner au centre MENA dans lequel elle vit, après avoir traîné dans un parc à proximité avec ses amis.Megdoulin essaie de ne pas trop penser à sa situation actuelle. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est danser. Elle trouve ça libérateur. « Mon corps se met à bouger tout seul », dit-elle en rigolant et en bougeant les hanches sur un morceau imaginaire. Elle a été accro à la drogue, mais aujourd’hui, elle n’a plus besoin d’assister aux sessions organisées par Proyecto Hombre – une organisation qui vient en aide aux toxicomanes à Melilla – car la musique lui sert de thérapie.Avec l'aide de Ceuta, une autre ville espagnole partageant une frontière directe avec le Maroc, Melilla est allée plus loin et a demandé que la loi soit modifiée pour inclure le concept d'« immigrant économique précoce ». Cela permettrait non seulement de rapatrier les enfants au Maroc si leurs parents sont identifiés, mais aussi de les envoyer directement dans des centres sur le continent espagnol afin que le gouvernement central s'occupe d'eux s'ils ne sont pas ramenés au Maroc dans les trois mois.« J'ai eu beaucoup de problèmes familiaux au Maroc, explique Megdoulin. Je ne pouvais pas rester là-bas avec eux. » Elle ne veut pas rester à Melilla non plus. Sa destination cible est Madrid, tandis que Salah espère finir à Barcelone. De là, il veut atteindre la Suède.Comme Ceuta, Melilla est la première étape d'un voyage qui, pour beaucoup d'enfants, commence à Fès, Casablanca ou Marrakech, en voiture ou en bus. « Vous économisez un peu d'argent, vous prenez un bus pour 14 ou 15 euros et le lendemain matin, vous êtes à Nador, dit Mohammed. Vous prenez ensuite un taxi pour Beni Enzar et vous essayez de passer la frontière. »Traverser la frontière espagnole à Melilla ou Ceuta est moins risqué que d'essayer d'atteindre Algésiras par l'un des ferries qui partent du grand port Tanger Med, à 18 kilomètres de Ceuta. C'est pour cela que vous pouvez voir des groupes d'enfants et d'adolescents qui jouent et errent sur l'autoroute qui mène au poste frontière de Melilla, en attendant l'occasion de se cacher entre des conteneurs de fret.Karim, 19 ans, dort dans la rue depuis longtemps. Il est arrivé à Melilla à l'âge de 10 ans et fait partie du « chewing-gum gang », un groupe d'enfants qui se faisaient de l'argent en vendant des chewing-gums pour un euro le paquet. Aujourd'hui, plus aucun de ces amis n’est en ville. « Certains sont en prison, d'autres en Europe, me dit-il. Mais la plupart d'entre eux sont en Espagne continentale. J'ai essayé plusieurs fois de me faufiler sous un camion. »Son objectif personnel est Almería. Il a failli y arriver une fois, mais la police l'a trouvé, encore mineur, caché sur un bateau dans le port de la ville. Ils l'ont renvoyé à Melilla. « Je m'assure de pouvoir être vu, dit-il. Je ne me cache pas dans des endroits difficiles où je pourrais perdre une jambe ou mourir. »Plus de photos ci-dessous :VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
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La question des « papiers » est un peu plus compliquée. Selon la législation espagnole, les autorités régionales qui ont des mineurs étrangers sous leur tutelle sont tenues de leur accorder un permis de séjour temporaire, qui leur permet également de travailler s'ils ont plus de 16 ans. Mais cette procédure n'est pas mise en œuvre, selon l’ombudsman, qui a signalé les obstacles bureaucratiques auxquels ces mineurs sont confrontés. Cela les empêche d'avoir des papiers en règle au moment de leur majorité, ce qui les exclut des programmes de travail visant à leur pleine intégration et leur ôte tout simplement la possibilité de vivre et de travailler légalement.« On ne voyait pas d'enfants dans la rue auparavant, explique Maite Echarte, cofondatrice de PRODEIN, une association pour le développement et la protection des enfants. Maintenant, ils ne fournissent plus aucun document. Si des enfants sortent de ces centres sans papiers, à quoi cela sert-il qu'ils y restent en premier lieu ? Qu'est-ce qu'ils vont bien pouvoir faire ? »Les retards et les failles du système de protection condamnent ces enfants à vivre dans l’incertitude, et bien souvent, ils préfèrent prendre le risque d'aller au port de Melilla pour essayer de se faufiler dans des camions en direction du continent espagnol, plutôt que d'avoir à passer la nuit dans un baraquement répugnant à La Purísima, où des dizaines d'enfants s'entassent parterre sur des matelas.« Je vais bien. Je viens de sniffer de la colle, pour oublier » – Yassine
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« Selon la loi espagnole, les mineurs étrangers non accompagnés en Espagne jouissent des mêmes droits que les enfants espagnols. Ils ne peuvent être rapatriés qu'après que le gouvernement a vérifié qu'ils seront en sécurité dans leur pays d'origine »
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« Je dois me débrouiller seule, dit-elle. On verra bien comment ça se passe. » Megdoulin est originaire de Nador, une ville côtière du nord-est du Maroc. Elle fait partie des mineurs dont le gouvernement espagnol tente de négocier le rapatriement avec le Maroc.L'accord impliquerait la mise en place d'une exception à la loi sur la protection de l'enfance uniquement pour les MENAS marocains, considérés comme des « immigrants économiques précoces ». Selon la loi espagnole, les mineurs étrangers non accompagnés en Espagne jouissent des mêmes droits que les enfants espagnols. Ils ne peuvent être rapatriés qu'après que le gouvernement a vérifié qu'ils seront en sécurité dans leur pays d'origine.
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