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Il y a de plus en plus de corps non réclamés, voici ce qu’il en advient

Dans La fête des morts, Dany Laferrière relate les paroles de sa grand-mère. On n’est vraiment mort, disait-elle, que lorsqu’il n’y a plus personne sur Terre pour se rappeler de notre nom.
Image via WikiCommons

Si on se fie à ses mots, il y en a une couple qui meurent avant leur heure, ou plutôt avant que leur cœur n'ait vraiment cessé de battre… Mourir dans l'oubli : la finalité la plus triste pour être humain.

Comme Michel, le voisin, qui meurt sur son sofa dans son 4 et demi de la rue Saint-Denis. C'est le mois de février et ça fait trois jours qu'il neige. Depuis quelques années, Michel est responsable de pelleter les escaliers et les petites allées menant aux portes de tous les logements de son immeuble. Mais, étrangement, cette semaine la neige s'accumule devant les portes et les voisins commencent à se demander ce qui peut bien se passer avec le bon vieux Michel. Ce n'est pas son genre. Inquiet, le propriétaire de l'immeuble finit par se décider à entrer chez son locataire après que tous ses coups de sonnette soient restés sans réponse. Et c'est là qu'il l'a trouvé. Seul au milieu de son appartement, mort depuis quatre jours sans que personne ne s'en soucie ou s'en aperçoive sauf les voisins un peu tannés de se ramasser avec le bas des pantalons mouillé tous les matins. C'est triste, cette histoire. C'est celle de Michel, mais c'est aussi celle de Paul, d'Aline, de Robert et de Jacques.

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La différence entre l'histoire de Michel et de Jacques, par contre, c'est que les policiers ont réussi à retrouver la fille de Michel. Et que, même si elle ne lui parlait plus depuis deux ans, elle a pu lui faire ses adieux en lui organisant des funérailles en bonne et due forme. La famille de Jacques, quant à elle, ne s'est jamais manifestée.

Dans de pareilles circonstances, le coroner travaille de pair avec les policiers pour retrouver la famille. Mais si les recherches demeurent vaines après un délai de 30 jours ou si les proches décident de ne pas réclamer le corps pour une raison ou pour une autre, on estime alors qu'il devient un « corps non réclamé ». Pas peu frette comme expression. Disons seulement que c'est un titre qu'on ne souhaite pas acquérir, idéalement.
Mais c'est toutefois le cas de Jacques dont le corps repose dans un congélateur de la morgue de Montréal depuis trois mois. Il faut dire que ce dernier n'avait pas fait de testament et n'avait pris aucun arrangement préalable.

Hausse des corps non réclamés

Depuis quelques années, on observe d'ailleurs une hausse importante du nombre de corps non réclamés. À la fin de l'année 2016, on en dénombrait tout près de 90. Sur le site du Bureau du coroner, on peut d'ailleurs trouver la liste de tous ces corps non réclamés avec leur date de naissance, leur avis de décès et la dernière adresse qu'ils ont occupée.

« Si les recherches du coroner ne mènent à rien, une publication paraît dans les journaux dans le mois qui suit. Si après trois mois personne ne s'est manifesté, le Bureau du coroner procède à l'inhumation », nous informe l'un de leurs préposés.

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Les corps sont alors placés dans un genre de cercueil de carton identifié avant d'être mis en terre sur un lot savamment divisé en fonction de leur système de classification. Si la famille réclame une dépouille quatre ans plus tard, ils peuvent facilement la retrouver et la déterrer…
Philippe (nom fictif), ambulancier pour la ville de Montréal, estime qu'il lui arrive en moyenne une fois par mois de trouver un corps, après que quelqu'un a signalé quelque chose de bizarre. Une fois sur place, ils ne font que constater la mort avant qu'un médecin ne prenne les choses en mains. Le corps de certaines de ces personnes décédées dans l'oubli finit par être réclamé, mais d'autres ne verront que leur nom s'ajouter à la liste du Bureau du coroner.

« Des fois, ça fait deux jours, mais d'autres fois ça peut faire deux semaines. C'est triste de penser que personne ne remarque ton absence. Personne ne te cherche. Il y a juste le voisin de palier qui commence à trouver que ça sent spécial sur l'étage », ajoute le préposé.

Et après?

« Quand la famille refuse, soit le corps est inhumé aux frais de l'État, soit il servira la science. C'est quand les corps ne sont pas identifiés ou encore quand la famille ne les réclame pas que les corps finissent par traîner à la morgue », nous précise Éric Le Sieur, président du Complexe funéraire Le Sieur à Granby depuis 27 ans.

« Dans une ville comme Granby, les cas de corps non réclamés sont plus rares », indique M. Le Sieur, qui estime tout de même en recevoir un ou deux par année.

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Quand la maison funéraire reçoit un corps non réclamé, le gouvernement remet une somme qui leur permet d'offrir une petite cérémonie au défunt. Au complexe funéraire Le Sieur, les corps non réclamés sont soumis à un nouveau procédé de crémation qu'on appelle l'aquamation. Comme le nom l'indique, c'est l'eau plutôt que le feu qui permettra de réduire le corps en poussière avant de le rendre à la terre. C'est en fait la version accélérée du principe de décomposition qui agit lorsqu'on enterre un corps. L'aquamation est plus écologique que la crémation ou l'inhumation et résulte de la combinaison de la chaleur et de l'alcalinité à l'eau en mouvement. Du corps, il ne restera plus que les os. Ceux-ci seront ensuite réduits en cendres avant d'être placés dans une urne biodégradable que l'on ira déposer au cimetière dans un genre de mausolée.

« Il faut savoir que chaque mort a droit à une cérémonie même si le montant de 600 $ qu'offre le ministère de la Santé et des Services sociaux est assez restreignant. Les gens sont définitivement mieux disposés à offrir des funérailles convenables au défunt s'ils réclament le corps puisqu'au Québec, pratiquement tout le monde a droit à plus ou moins 2500 $ grâce à la RRQ s'ils ont déjà travaillé, ou à l'aide sociale dans le cas contraire », explique Éric Le Sieur.

« L'erreur que les gens font souvent, c'est de croire à tort qu'en réclamant le corps, ils acceptent par le fait même la succession et deviennent alors responsables des dettes du défunt. Ce sont pourtant deux choses distinctes, mais c'est ce qui pourrait expliquer, du moins en partie, la raison pour laquelle certaines familles ne souhaitent pas réclamer le corps », explique Éric Le Sieur.

Morale de l'histoire, si vous avez une famille douteuse ou pas de famille du tout, prenez vos arrangements préalables de services funéraires, question de ne pas finir en popsicle.