FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Pourquoi on parle en dormant ?

Rien de grave, tant que vous ne vous endormez pas en pleine réunion et que votre partenaire sait faire preuve de compréhension.

Avec la série "Le Pourquoi du moment", Motherboard répond aux questions les plus posées à Google en 2015. Aujourd'hui, nous nous penchons sur une question qui a secoué bien des couples : pourquoi on parle en dormant ?

Le réveil sonne. 7h00. Bouche pâteuse, yeux collés. Tout n'est que souffrance et désespoir. Premier mouvement, vous balancez le réveil au sol. Tant pis, votre téléphone fera l'affaire la nuit prochaine. Puis, d'un effort surhumain, vous étendez votre bras de l'autre côté du lit, cherchant le contact réconfortant de celle qui partage vos nuits. Rien. Personne. Étrange.

Publicité

En quelques pas hagards, vous atteignez la cuisine, où règne une forte odeur de café et de haine. Pas de réponse à votre « bonjour » guttural. Pas même un regard. Vous hasardez un baiser, mais l'esquive est belle. Très gênante, aussi. « Ça va pas ? », risquez-vous. Après un silence de quelques secondes pendant lequel votre âme semble aspirée par un trou noir, le couperet tombe : « C'est qui Estelle ? »

Hein, quoi ? « Tu as répété son nom plusieurs fois cette nuit, et visiblement elle avait l'air de bien te plaire. » Ooooookay. Aucune idée. Enfin si, vous connaissez une Estelle, elle bosse à l'accueil, elle est pas mal, plutôt sympa, mais jamais vous n'auriez imaginé… Bref, vous n'avez jamais parlé d'Estelle à qui que ce soit, et certainement pas à votre chère et tendre. Aucun souvenir de cette affaire. Mais rien n'y fait, vous êtes catalogué, coupable à chaque fois, et vous ne parviendrez pas à convaincre qui que ce soit ce matin. Le café est bu cul sec dans une ambiance glaciale, une porte claque, et vous vous préparez à une soirée difficile en rentrant du travail ce soir.

Reste que, selon vous, vous n'avez rien fait de mal. À vrai dire, vous n'avez rien fait du tout. Mais visiblement, vous avez parlé en dormant, inconsciemment, et donc sans avoir le moindre contrôle sur ce que vous racontiez. Ce n'est pas franchement original : cela s'appelle la somniloquie, et 75% des gens en ont déjà souffert au moins une fois. Cela arrive même régulièrement à 15 à 18% de la population, tandis que 1,5% des personnes interrogées avouent en souffrir quotidiennement, détaille le Dr. Hélène Bastuji, de l'unité d'hypnologie de l'hôpital neurologie de Lyon. Autrement dit, vous n'êtes pas le seul à avoir, disons, « surpris » votre conjoint(e). Et puis ce n'est pas votre faute : depuis quelques semaines, vous êtes particulièrement stressé. Or, le stress et la fatigue augmentent considérablement les chances de parler pendant son sommeil.

Publicité

La somniloquie aurait en fait une origine génétique. Les personnes qui en sont affectées présentent en effet souvent une prédisposition génétique proche de celle du somnambulisme, les deux appartenant à l'ensemble des parasomnies (des troubles du sommeil sans incidence sur la santé incluant également les terreurs nocturnes et la sexsomnie, par exemple). Lorsque nous nous endormons, deux substances chimiques sont libérées dans notre corps : la glycine et l'acide gamma-aminobutyrique. Ces substances ont pour but de nous paralyser temporairement, afin que notre corps n'effectue pas de mouvements inconscients qui nous réveilleraient sans cesse. C'est ce qui explique, par exemple, que vous ne défonciez pas l'ensemble de votre appartement à coups de high kicks quand vous rêvez que vous massacrez votre patron grâce à une maîtrise tout à fait inédite de l'art ancien du ninjutsu. Mais chez les personnes atteintes de somnambulisme, ces substances ne sont pas présentes en quantité suffisante pour paralyser effectivement le corps ; il en va de même pour les somniloques, dont les cordes vocales, elles aussi théoriquement anesthésiées, restent actives même si le reste du corps est immobile. Certaines personnes parviennent donc à produire des sons, et leur voix retranscrit ce qui leur passe par la tête à ce moment-là. Enfin, pas exactement.

« Seules 36% des vocalisations nocturnes sont des paroles compréhensibles, explique Ginevra Uguccioni, neuropsychologue à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Les 74% restants sont constitués de pleurs, de rires, de cris, de chuchotements. » Et quand bien même il s'agirait de paroles compréhensibles, elles n'ont pas forcément beaucoup de sens. Cela dépend en fait de la phase du sommeil au cours de laquelle la somniloquie intervient. La plupart du temps, elle se produit pendant une phase de sommeil lent léger, et il arrive alors souvent que l'on prolonge en quelque sorte une conversation entamée au cours de la journée ou juste avant de se coucher. C'est également la phase où vos amis les plus facétieux peuvent s'amuser à vous faire dire à peu près n'importe quoi, pour le plus grand bonheur des détenteurs de smartphones :

Publicité

Mais il arrive également que l'on parle au cours d'une phase de sommeil paradoxal, celle où se produisent généralement les rêves. Nos paroles ont alors de bonnes chances d'être en relation avec le contenu du rêve, et de donner un truc du genre « Non, s'il te plaît, ne vole pas mon stégosaure » ou « Hey, salut Estelle, tu veux voir mon stégosaure ? ». Mais les rêves étant ce qu'ils sont, à savoir, bien souvent, des exutoires, le langage employé est souvent très vulgaire, voire franchement ordurier. Il peut s'agir d'insultes, voire de menaces, à tel point que les personnes qui partagent le lit d'un(e) somniloque sont parfois franchement terrifiées. Mais dans bien des cas, ces paroles violentes concernent le monde du travail, et sont adressées au patron. D'où l'intérêt de ne pas s'endormir en réunion.

Le témoignage d'une femme terrifiée par son compagnon visiblement perturbé. Capture d'écran : yabiladi.com

Plus étrange : de nombreux témoignages relatent les cas de personnes qui s'expriment dans leur sommeil dans une langue étrangère, voire totalement inconnue. Ce phénomène, baptisé glossolalie et très présent dans les textes chrétiens, est pour l'heure inexpliqué mais constitue une forme d'aphasie, c'est-à-dire un trouble du langage. Une rapide recherche sur Internet révèle la fréquence de ces cas, qui suscitent souvent l'étonnement voire l'angoisse chez ceux qui en sont témoins, assurant que la personne concernée ne maîtrise aucune autre langue que sa langue natale et que ce comportement est donc parfaitement extraordinaire. Pourtant, si l'on en croit le neuropsychiatre Michel Poncet, c'est toujours « une langue qui est connue ou a été au moins pratiquée dans le passé. » Ces cas se rapprochent de ceux d'individus ayant subi un accident tel qu'un AVC, et qui se sont réveillés en parlant une langue étrangère ou affectés d'un accent étranger dans leur langue natale, comme ce Britannique qui s'est subitement mis à parler Gallois après une attaque cérébrale. Quant au syndrome de l'accent étranger, on en a dénombré 50 cas à travers le monde depuis 1941, le plus documenté étant celui de Sarah Colwill, une Anglaise incapable de se départir d'un accent chinois à la suite d'un accident vasculaire cérébral.

Une épouse incrédule. Capture d'écran : aufeminin.com

Quoiqu'il en soit, et quelque soit le contenu de vos monologues nocturnes, soyez rassuré : la somniloquie n'affecte en rien la qualité de votre sommeil. Vous pouvez tout à fait parler toute la nuit en dormant sans ressentir la moindre fatigue au réveil. Il est donc parfaitement inutile d'en parler à votre médecin. En revanche, il va peut-être falloir trouver un moyen d'expliquer qui est Estelle.