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Culture

Pourquoi les artistes ne devraient pas se servir du Vantablack

Le pigment « plus noir que noir » d’Anish Kapoor n’est pas totalement sain, pas plus que la couleur qui a tué Napoléon.
A drop of water on a Vantablack-ed surface. Image: via Surrey NanoSystems

L’encre coule sur la monopolisation par Anish Kapoor du Vantablack, une substance nanotubulaire développée par Surrey NanoSystems qui absorbe 99,96% de la lumière visible. C’est la substance la plus sombre connue par les hommes, et seulement un seul de ces hommes est autorisé à l’utiliser pour l’art. Vantablack n’est pas la première couleur à déclencher des huées. Depuis le Bleu Klein au vert de Scheele qui est supposé avoir donné la mort à Napoléon, en passant par des couleurs controversées utilisées pour rendre la nourriture en magasin plus appétissante, les couleurs artificielles ont et seront toujours sujet à débat.

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À l’inverse des artistes qui ont, dans l’histoire, cherché à empêcher les autres d’utiliser leurs couleurs maîtresses, Kapoor n’a pas encore prononcé de réclamation égocentrique sur son utilisation du Vantablack. En 1960, Yves Klein a développé le International Klein Blue, un riche bleu outremer utilisé comme signature par l’artiste dans ses monochromes. Klein a travaillé avec le chimiste Édouard Adam pour développer une couleur intensément pigmentée, et même s’il n’en a jamais officiellement revendiqué la paternité, il a sous-entendu officieusement que le bleu du ciel était l’une de ses oeuvres. En 1961, Klein disait avec haine des oiseaux volant dans « son ciel bleu », « son oeuvre la plus belle et la plus remarquable ».

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Yves Klein, Untitled Blue Monochrome (1960). Image via Wikiart

International Klein Blue est une peinture, à l’inverse du Vantablack, qui est produit à partir de nanotubules en carbon microscopiques et qui peut être appliqué sur des surfaces. Ce nouveau matériau expérimental a, en thérie, un potentiel énorme pour des applications artistiques, même si, selon le site de Surrey NanoSystem, « Vantablack n’est pas généralement pas approprié à un usage artistique, en raison de sa composition ».

C’est en fait aussi potentiellement dangereux. Les nanotubules du Vantablack peuvent irriter les yeux et le système respiratoire. La version originale peut seulement être utilisée à un état de fusion supérieur à 550°C, impliquant qu’il fasse fondre n’importe quel matériau ou revêtement qui ne soit pas suffisamment résistant à cette température. La substance est toxique pour les organes après exposition, ce qui signifie qu’il cause « des blessures non-fatales mais réversibles ou irréversibles à des organes spécifiques après contact ». Tous ces avertissements sont déjà associés à la substance, et elle n’a pas été complètement testée.

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Une approximation du vert de Scheele. Image via knowledgenuts.com

D’après ses créateurs, le Vantablack n’est pas cancérigène, comme ont pu l’être certaines couleurs dans l’histoire. Il paraîtrait que Napoléon est mort d’un cancer causé par le vert de Scheele, un pigment développé à la fin des années 1700 par le chimiste Carl Wilhelm Scheele. Un pigment autrefois populaire dans les ménages, dont le nom chimique était hydrogénoarsénite de cuivre. Quand le pigment était exposé à l’eau ou à l’humidité, il pouvait dégager de l’arsenic dans l’air. Un papier-peint couvrant les murs de la maison de Napoléon — dont sa salle de bain — contenait apparemment du vert de Scheele, et certains pensent que le taux élevé d’arsenic retrouvé dans les cheveux de Napoléon prouvent que c’est cette couleur qui l’a tué, ou qui a du moins aggravé son cancer fatal de l’estomac.

L’empoisonnement à l’arsenic cause un tas de symptômes pas très fun. En 1839, quatre enfants issus de la même famille à Londres sont morts des suites de douleurs à la gorge et d’afflictions respiratoires. Leur chambre avait été récemment refaite, les murs recouverts de papier-peint vert. En 1858, un gamin de 3 ans a mangé un morceau de papier-peint décollé du mur et en est mort peu après. Et il y a aussi cette anecdote sur un couple de Birmingham qui ont refait deux de leurs chambres avec du papier-peint vert. Leur perroquet domestique et eux-mêmes sont tombés malade, le couple se plaignant d’inflammations oculaires, de douleurs à la gorge et de maux de tête qui ont disparu lorsqu’ils ont quitté leur domicile.

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Le papier-peint vert était très à la mode au XIXe siècle, et même après que ces histoires se soient largement répandues, les fabricants de papier-peint ont nié les effets néfastes du vert de Scheele, craignant que leur marché ne s’effondre.

À l’inverse de l’arsenic, en revanche, le public et les peintres n’ont pas, plus particulièrement aux États-Unis, montré d’aversion à des peintures au plomb, parfois mortelles, jusqu’à récemment. Du temps de la colonisation jusqu’au début du XXe siècle, le plomb blanc était le type de pigment le plus prisé en raison de sa forte saturation et de son pouvoir couvrant. En 1910, la National Lead Company a créé le terme « white-leaders » pour décrire « un homme qui croit en et qui utilise du pur plomb blanc comme pigment pour peinture. » Les publicitaires ont promut, sans scrupules, les pigments au plomb comme la meilleure option pour peinture, sans considération pour son usage avéré comme poison, comme il a pu être employé dans l’Égypte ancienne.

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Des peaux d'orange sont colorées avec un colorant artificiel, rouge citrus n°2. Image via Imgur

Il est dit que certains des plus grands artistes de l’histoire sont morts du plomb qui a empoisonné leurs peintures, expliquant peut-être la « folie du peintre ». En 2010, des scientifiques ont découvert des taux élevés de plomb dans les os du Caravage, concluant qu’un empoisonnement au plomb a contribué à sa mort. Il est également dit que le plomb présent dans les pigments de peinture (et dans le vin) ont amené à la goutte de Michel-Ange. Des témoignages suggèrent que Francisco Goya appliquait du plomb blanc, du jaune de Naples et des extraits de saturne — des pigments contenant tous essentiellement du plomb — sur ses toiles avec ses doigts, poussant à un empoisonnement.

Aujourd’hui, les couleurs artificielles continuent d’avoir des impacts négatifs sur notre santé. En 2010, le Center for Science in the Public Interest (CSPI) a publié un rapport appelé « Colorants alimentaires : un arc-en-ciel de risques ». Il détaille le potentiel cancérigène des colorants alimentaires comme le rouge citrus n°2, un pigment utilisé pour colorer les peaux d’orange, qui cause des tumeurs de la vessie chez les souris et les rats ; ou le jaune n°6, qui provoque des tumeurs surrénales chez les animaux.

Il est facile de prendre Kapoor comme bouc émissaire pour éloigner le Vantablack des mains des autres artistes, mais véritablement, son studio agit comme une sorte de laboratoire scientifique secondaire, où le potientiel artistique du Vantablack peut être exploré par une équipe minue des ressources nécessaires pour le faire correctement. Étant donné l’histoire mortelle des couleurs artificielles, c’est probablement une bonne idée de laisser le Vantablack être testé par un petit groupe de personnes avant qu’il ne soit à la portée du grand public. Le travail du studio de Kapoor avec cette substance le rendra, on l’espère, accessible et sain pour les artistes du monde entier un de ces jours. Aux jaloux : ce rouge sur votre visage pourrait vous être fatal.