Les Années 1990 de tous les gens que vous aimez
Les photos sont de Renaud Monfourny.

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Les Années 1990 de tous les gens que vous aimez

Kim Gordon, Nirvana et Morrissey : Renaud Monfourny, membre fondateur des Inrocks, a connu les meilleurs à leur meilleur moment.

Quentin Tarantino, Michel Houellebecq, Allen Ginsberg, Blixa Bargeld, Courtney Love – et 126 autres. Ils sont tous là, tous les grands noms de la culture des dernières décennies. Des gens que vous adorez ou que vous ne pouvez pas blairer, mais que vous connaissez. Renaud Monfourny, lui, les a photographiés à de nombreuses reprises. De toutes ces rencontres est né un livre, qui accompagne une exposition se tenant actuellement à la Maison Européenne de la Photographie à Paris.

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Le membre fondateur des Inrockuptibles a donc publié aux Éditions Inculte Sui Generis, un recueil de plus d'une centaine de photos réunissant la crème de la crème, des types à l'origine des meilleurs romans, chansons et films de la seconde moitié du XXe siècle. J'ai passé une heure avec lui dans un café à parler d'Internet, de noir et blanc, et de l'importance de ses racines campagnardes.

James Ellroy

VICE : J'ai l'impression que vous avez rencontré toutes les personnes underground et cool des années 1980 et 1990, en fait.
Renaud Monfourny : J'aurais aimé que vous me parliez aussi des années 2000 et 2010, même s'il est sans doute plus difficile de déterminer qui est underground aujourd'hui, tant certaines personnes retombent rapidement dans l'oubli – des musiciens hyper doués vont privilégier une carrière de chargé de communication, par exemple. Moi, je m'intéresse aux gens qui ressentent un besoin vital de créer ; des types pour qui la musique – entre autres – n'est pas qu'un métier.

Aujourd'hui, après qui court un mec de 25 ans ? Moi, je courais après Marguerite Duras par exemple. Les figures tutélaires sont de plus en plus rares. Aujourd'hui, le message est brouillé et les frontières n'existent plus. Les gens écoutent un morceau de Booba puis de Ty Segall, et le revendiquent. Personnellement, je respecte les gens qui ont des convictions affirmées.

Je vois. Dans le livre, en parlant de Kim Gordon, vous évoquez la « figure ultime du cool quand ce n'était pas encore un cliché marketing ». Vous pouvez m'en dire plus ?
Selon moi, les années 1990 correspondent surtout à l'arrivée dans de nombreux labels – notamment les majors – de mecs sortis tout droit d'écoles de marketing. Ces types n'y connaissent rien mais appliquent des recettes qui peuvent convenir autant à la musique qu'au commerce du petit pois.

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Après, il ne faut pas oublier que la récupération mercantile existe depuis toujours. Prenez Nirvana par exemple, qui explose médiatiquement à un moment donné sans véritable explication. Cobain ne le supportera pas.

Maurice Pialat

Parlez-moi un peu de la genèse de ce livre. Quand en avez-vous eu l'idée ?
Déjà, il faut préciser que le livre a été imaginé en quelques mois. Alors que mon exposition à la MEP s'approchait, j'ai appelé une amie qui bosse dans l'édition. Elle a contacté deux ou trois connaissances et au final les Éditions Inculte et le fond de dotation Agnès b. ont accepté de m'accompagner dans la création de Sui generis. Ils m'ont laissé une totale liberté dans le choix des photos.

Aujourd'hui, j'aimerais aller plus loin en publiant une version remixée de Sui generis avec les mêmes personnalités mais en utilisant des images différentes – je les ai toutes photographiées à de nombreuses reprises, hormis Tom Wolfe je pense.

Robert Crumb

Vos clichés sont en noir et blanc et souvent situés dans des environnements ouverts, rapprochant votre style de la photographie de rue anglo-saxonne. D'où cela vient-il ?
Je suis tombé dans le noir et blanc quand j'avais 15 ans. À l'époque, je collectionnais des pages du magazine Photo que me donnait un vieux monsieur du photo-club dans lequel j'étais inscrit – j'ai toujours eu une préférence pour les vieux maitres, comme Man Ray. Je trouve que le noir et blanc a le pouvoir de transfigurer une réalité banale.

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Son utilisation est également liée à l'endroit dans lequel l'artiste évolue. En Californie, la couleur est omniprésente alors qu'en Grande-Bretagne et à Paris, le noir et blanc prédomine – cela n'a rien d'un hasard. Paris est une ville assez marronnasse, au fond.

Puis, cela va sans dire que le noir et blanc est iconique dans l'histoire de la photographie musicale – pensez aux Ramones par exemple. Selon moi, la couleur est souvent liée à la publicité. Elle donne un aspect commercial dès le premier regard.

Au tout début du livre, on trouve une très courte biographie indiquant que vous êtes né à la campagne. Pourquoi avoir choisi de mettre cette information en avant ?
Parce que je la revendique. J'adore les centres urbains, mais, dès le vendredi soir, je me casse de Paris pour rejoindre la campagne.

Qu'est-ce que ça vous a apporté ?
Avant la naissance d'Internet, la différence entre une enfance à la campagne et une enfance en ville était immense. Je n'avais ni radio ni télé chez moi – ce qui n'était pas plus mal. Mes parents étaient tous les deux instituteurs, l'un fils d'ouvriers et l'autre fille de petits paysans – l'ascenseur républicain fonctionnait encore à l'époque.

Adolescent, j'ai eu accès à la culture via la médiathèque du coin et la fréquentation de types plus vieux. Dans le livre, j'évoque mon rapport à Patti Smith, qui est la première personne que j'ai admirée musicalement – avant, j'écoutais des trucs infâmes, du genre Status Quo. Je n'avais que ça sous la main. J'ai découvert le mouvement punk bien plus tard qu'un mec qui vivait dans le centre de Paris à la fin des années 1970.

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Kim Gordon

En évoquant Internet, on peut dire sans trop se mouiller que ça a profondément modifié le rapport des individus à l'image artistique – prenez l'exemple de la virtualisation des musées.
C'est vrai, mais il ne faut pas oublier que les touristes qui se déplacent pour voir la Joconde ne l'observent souvent que par le prisme de leur téléphone portable ! La plupart des gens ne regardent plus et ne voient que par l'intermédiaire d'un médium.

Après, il ne faut pas tomber dans le conservatisme vieillot. En parallèle de mon exposition à la MEP, j'ai choisi de mettre en place un catalogue virtuel que n'importe qui peut acheter pour cinq euros, et qui donne accès à toutes les photos de l'exposition agrémentées d'un tas de bonus, d'autres photos d'artistes, d'anecdotes que je raconte, de biographies, etc. Ce catalogue permet à ceux qui, notamment, n'habitent pas à Paris de visiter quand même l'exposition.

Björk

Vous êtes un fervent défenseur de l'argentique. Quel est votre regard sur la généralisation de la retouche des photos numériques – notamment des photos de stars ?
La retouche a toujours existé, même avec l'argentique – pour gommer un petit bouton par exemple. Mais, aujourd'hui, la maîtrise des outils numériques pose un problème de nature philosophique – celui de la modification de l'identité d'une personne. Dans la presse, c'est devenu systématique. Avant même que les stars n'exigent une quelconque modification, les journaux et les magazines le font.

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Aujourd'hui, on fait face à deux extrémités, aussi répugnantes l'une que l'autre. D'un côté, les photos ultra-retouchées, voire des mélanges entre plusieurs clichés afin d'obtenir une image jugée « parfaite ». De l'autre, les photos de paparazzis, d'une qualité dégueulasse. Pour résumer, sur certaines photos, Madonna paraît avoir 22 ans, et sur les autres 70. Plus aucune photo ne prend soin de préciser « Madonna vue par… ». C'est désolant.

Vous, l'une de vos caractéristiques est de laisser visible le cadre autour d'une photographie. Pourquoi ça ?
Historiquement, l'importance du cadre a été mise en évidence par Cartier-Bresson – qui insistait sur le fait qu'une photo ne se recadre pas. Aujourd'hui, plus personne n'en parle, alors que c'est essentiel.

Morrissey

Quelle est votre opinion au sujet des jeunes photographes actuels, souvent très urbains ?
Moi, j'avais étudié dans une école un peu merdique afin de rassurer mes parents. Aujourd'hui, les jeunes photographes suivent des cours dans des écoles spécifiques. Ils sont hyper formatés. Le portrait de presse est devenu une épreuve imposée, sans beaucoup d'originalité.

De plus, ces jeunes subissent de plein fouet l'irruption d'Internet dans leur domaine de compétence. Tout devient gratuit, la notion de « prix » n'existe même plus. Ce n'est pas spécifique à la photographie : il n'y a qu'à observer les déclarations du leader de Portishead.

Renaud Monfourny avec son appareil argentique. Photo de Lou Monfourny

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Dans Sui Generis, vous citez une remarque de Claude Simon. Il évoquait le fait qu'avec votre appareil argentique, vous vous tenez dans une position de déférence face à la personne photographiée, parce que votre regard va vers le bas.
C'est vrai. Sur le coup, je n'y ai pas prêté attention. Ça ne m'est revenu que plus tard. La remarque de Simon m'a marqué parce qu'elle correspond à mon approche de la photo. Je connais les gens que je photographie et je les respecte. Vous n'êtes pas sans savoir que de nombreux journalistes et photographes rencontrent des gens qu'ils ne connaissent absolument pas. Ça me paraît incroyable.

Il m'est arrivé deux ou trois fois de photographier des hommes politiques assez vieux, des gens pour qui je n'avais pas un respect immense mais, malgré tout, j'avais conscience d'être face à une personne. Je me souviens avoir photographié Léotard, un type pas forcément marqué à gauche avec des casseroles au cul, dont je connaissais bien le frère. Eh bien, je lui ai témoigné du respect, comme je le fais toujours avec les gens que je photographie, parce que ça me paraît être un minimum. Mon positionnement assez original, avec le regard vers le bas, traduit parfaitement mon rapport à l'Autre.

Je vois. Merci beaucoup M. Monfourny.

Alain Robbe-Grillet

Mark E. Smith


L'exposition consacrée à Renaud Monfourny à la MEP s'achève le 27 mars. Allez-y.

Sui Generis est disponible aux Éditions Inculte. L'e-book, lui, est disponible sur l'Apple Store aux Éditions Dromon Next Media.

Allez également faire un tour sur le site Internet de Renaud Monfourny.

Romain est sur Twitter.