Roméo Elvis agression sexuelle balancetonrappeur
Image : Lotte Peeters
Société

#balancetonrappeur : les voix s’élèvent et les masques tombent

Ça choque que le mec « gentil » du rap belge se prenne ce genre d’accusation. Mais au final, ça n’a rien d’étonnant. Premièrement parce que le violeur n’a pas de profil.
Souria Cheurfi
Brussels, BE

Il y a exactement six mois, je rédigeais un article pour expliquer la démarche éditoriale du troisieme épisode de DIVERSIDEAS, sur le harcèlement sexuel dans le milieu de la nuit. C'était le 9 mars 2020, un jour après la manif pour les droits des femmes, neuf après la récompense de Polanski aux Césars et donc huit après la publication de l’article de Despentes dont le célèbre « On se casse » a fini tatoué sous ma fesse droite.

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Je vais faire un move meta que je n’aurais jamais imaginé faire : me citer dans mon propre article. Pas pour l’ego trip, mais parce qu’au final, six mois plus tard, c’est exactement ce même sentiment d’impuissance qui me prend à la gorge :

« Le 8 mars, c’est la Journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Et le combat continue. On avance, on colle des affiches, on lance des projets, on gueule, on manifeste, et quand il le faut, on se casse. Cette année, pas mal d’événements ont provoqué la colère des femmes en Belgique et dans le reste du monde. Le viol et le meurtre de Julie Van Espen, les Ubers violeurs, et plus récemment, la récompense de Polanski aux Césars. Ça écoeure, ça fâche, et ça donne l’impression qu’on n’y arrivera jamais. Qu’on n’aura jamais les mêmes droits et privilèges que vous, les hommes. Que nos corps seront pour toujours sexualisés, nos voix tues, et nos salaires réduits. »

Aujourd’hui, c’est pas la Journée de la Femme – askip c’est celle de la peluche –, personne n’a gagné de César, et je souhaite du plus profond de mon coeur qu’une poignée de rappeurs ne mettront plus jamais un pied sur un tapis rouge, ni même un podium de kermesse.

#balancetonrappeur

Petit récap vitef. Ces dernière semaines, le rappeur francais pseudo-romantique Moha La Squale a fait l’objet de plusieurs accusations de viol, violences et sequestration. Les faits ne datent pas d’hier, mais les victimes ont pris du temps à témoigner à cause des menaces qu’il exerçait sur elles, par peur de représailles. Classique.

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Tout a commencé avec le témoignage de Romy, qui écrit sur Instagram : « Vos rappeurs violeurs qui font des sons de love et qui séquestrent des meufs, qui frappent leur go et qui après ooooh ma lunaaaa. On adore que ce genre de pourriture soit streamée à fond (perso j'ai rien eu de grave mais ça aurait pu). Pour ceux qui n'ont pas capté je parle bien évidemment de Moha La Squale. » Témoignage qui sera partagé par la Lena Simonne, la copine de Roméo, un jour avant de savoir ce qui attendait son gars, mais ça on y reviendra plus tard.

Cette vidéo du YouTuber Ramous explique que Moha avait déjà fait de la prison pour séquestration, et non pour trafic de drogues comme il s’est plu à le faire croire. Ladite vidéo reprend les témoignages glaçants de trois de ses victimes : « Il me disait : “ouais, je vais ramener des mecs du quartier, on va te mettre dans une cave, ils vont tous te violer et quand on aura terminé, je vais te graver Moha La Squale dans le dos.” » Angelina, sa dernière copine « officielle », confie également avoir été violentée et séquestrée par le rappeur. S’ajoutent à cela des témoignages de figurantes jouant dans ses clips qu’il a forcées à dormir avec lui dans sa chambre d’hôtel. Bref, la liste est longue et je vais éviter de m’étaler sur les détails sordides.

« Ça choque que le mec “gentil” du rap belge se prenne ce genre d’accusation. Mais au final, ça n’a rien d’étonnant. Premièrement parce que le violeur n’a pas de profil. »

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Hier, c’est au tour de Roméo de se faire accuser sur les réseaux. Et là bizarrement, ça choque encore plus. Pas Roméo, pas le rappeur blanc, gentil qui plaît même à celleux qui n’aiment pas le rap. Pas celui qui aurait pu chanter l’hymne national belge au Mondial sans que ça ne dérange trop. Pas le frère d’Angèle. Pas le fils de Laurence Bibot.

Eh bien si.

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Et à en croire les captures d’écran de la conversation entre la victime et son agresseur, il ne nie pas les faits. Il en a honte, il ne les assume pas, et il se sent mal, mais pourquoi ? Pour ce qu’il a fait ? Non, il n’a visiblement pris que « plusieurs semaines à se remettre de ce geste stupide ». Il se sent mal aujourd’hui parce qu’il a peur des conséquences. Il s’excuse non pas parce qu’il a commis un geste inexcusable, mais parce qu’il veut « passer à autre chose définitivement et qu’il n’a vraiment pas envie que sa copine apprenne ce truc ». Rien ne va dans ses explications. J’espère que son RP sera plus malin.

Entre temps, Roméo a formulé des excuses publiques :

Ça choque que le mec « gentil » du rap belge se prenne ce genre d’accusation. Mais au final, ça n’a rien d’étonnant. Premièrement parce que le violeur n’a pas de profil, et ça aussi on y revient plus tard ; et deuxièmement, parce que les chiffres ne mentent pas. En février, la plateforme française féministe NousToutes a publié les résultats de leur rapport #JaiPasDitOUi sur le consentement dans les rapports sexuels.

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  • 89,3% des répondantes déclarent avoir déjà subi une pression de la part d'un partenaire pour avoir un rapport sexuel.
  • 36,2% des répondantes déclarent avoir déjà subi un acte sexuel hors pénétration sans leur accord préalable.
  • 25,3% avec pénétration.
  • 28,7% pendant le sommeil.

L’enquête couvre une série de questions détaillées, et dans son ensemble, 67,5% des femmes répondent au moins une fois « oui » à l’une des questions portant sur des faits d’actes sexuels sans consentement (avec ou sans pénétration). Si sept femmes sur dix en ont fait l’expérience, c’est que les statistiques des mecs ayant commis ce genre d’actes ne doivent pas être jolies non plus.

Pourvu que ces femmes continuent de les dénoncer un à un, pourvu qu’ils se chient dessus par peur de perdre leur petite copine, et pourvu qu’ils payent pour leurs actes. Parce qu’au-delà du poids social de ces accusations, le viol, la sequestration et les coups et blessures sont des actes punis par la loi.

Laissez Angèle tranquille

Et Lena aussi. Un homme est accusé de d’agression sexuelle, et votre priorité c’est de pointer du doigt sa soeur et sa copine. La première chose qui vous vient à l’esprit c’est : « Et pourquoi cette féminazie d’Angèle ne dit rien ? », « Balance ton frère aha ! », « En plus elle a fait une story hier sur Moha La Squale. » Vous pensez pas que c’est assez difficile à encaisser pour elles ?

« Un homme est accusé d’agression sexuelle, et votre priorité c’est de pointer du doigt sa soeur et sa copine. La première chose qui vous vient à l’esprit c’est : “Et pourquoi cette féminazie d’Angèle ne dit rien ?” »

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À aucun moment Angèle et Lena ne sont responsables des actes de Roméo. Si toutes les deux ont pris la décision d’utiliser leur voix et leur reach pour dénoncer des injustices, c’est tout en leur honneur, mais ça ne veut pas dire qu’elles ont des comptes à rendre. Si elles ont décidé de ne pas réagir, c’est tout à fait leur droit.

Stigmatisation du rap ?

La question de la misogynie dans le rap ça me connaît, dans le sens où j’en écoute beaucoup, depuis très jeune, et que ces questions me préoccupent depuis pas mal de temps dans mon féminisme. Comment justifier un amour pour le rap macho quand je me bats contre les violences, la culture du viol et les inégalités ? Ben en fait, je ne peux plus. C’est terminé. Cette question inévitable qu’on m’a posée aux quelques interviews que j’ai données, je ne pourrais plus y répondre comme je le faisais avant, l’époque où je me contentais de boycotter les artistes pour des faits, mais jamais pour des lyrics.

« Comment justifier un amour pour le rap macho quand je me bats contre les violences, la culture du viol et les inégalités ? Ben en fait, je ne peux plus. C’est terminé. »

Seconde citation de moi-même pour la route, cette fois issue d’un article rédigé il y a presque trois ans et dont j’assume beaucoup moins le contenu :

« J’écoute du Damso et j’aime ses textes même quand ils sont dénigrants pour la femme parce que je trouve qu’ils renferment une forme de poésie sombre et ça me parle. Pour moi ce n’est pas directement réducteur, ce sont des punchlines qui choquent, mais qui traduisent la perception de l’amour et des relations en 2018. C’est peut-être sexiste, mais pas forcément plus que la pub ou le cinéma. Simplement plus direct. »

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Dans le mille pour le cinéma, mais pour le reste : bullshit. Je vais pas commencer à justifier ces propos. Si je les reprends dans cet article, c’est parce que je sais qu’aujourd’hui encore, de nombreuses jeunes femmes pensent comme moi à l’époque et ça craint. Ça craint parce que dans le fond, tout est étroitement lié. Que Damso – pour citer le même nom – ait commis un viol ou non, ses textes machos transpirent la culture du viol. Et faut arrêter de rendre ça cool, de glorifier et glamouriser ce discours de bad boy. La violence, l’objectification, la sexualisation et la dégradation des femmes dans le rap n’est pas sans conséquences. Les jeunes qui écoutent ça l’intègrent d’une manière où d’une autre. On vous demande pas de revenir au rap conscient des années 1990 - non merci, sans façon -, mais parlez de galères, de joie, d'amitié, d'amour, je sais pas moi. Si j’ai rien à dire, j’écris pas un article perso. De toute façon ce débat tourne en rond depuis toujours et j’ai pas la prétention d’y avoir amené une conclusion. Mais j’ai trouvé la mienne. L’enfer, on va se retrouver à ne plus pouvoir écouter que Grand Corps Malade ou du rap chrétien.

Peut-être que les jours qui viennent donneront naissance au hashtag #notallrappers, qui sait. Et pourquoi pas après tout. Parce que je les vois déjà venir, les petits connards de droite qui vont se faire un plaisir de récupérer cette affaire pour stigmatiser les mecs de banlieue.

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« Je les vois déjà venir, les petits connards de droite qui vont se faire un plaisir de récupérer cette affaire pour stigmatiser les mecs de banlieue. »

Si on est reparti·es pour une vague aussi puissante que celle du #MeToo, c’est pas près de s’arrêter. Et bien sûr, ils sont innocents tant qu’on n’a pas prouvé qu’ils sont coupables – même si je suis d’avis que si une femme ose témoigner envers et contre tout, c’est souvent une décision murement réfléchie et non une soif de vengeance.

En fait c’est simple, le patriarcat, il est partout. Des violeurs, y en a dans les cités, dans la politique, dans la musique, dans le cinéma, dans le journalisme, dans les clubs, à l’église, dans les taxis, sur les applications de rencontre, à l’école et dans ton cercle de confiance. Ça sert à rien de se jeter la pierre, faut commencer par balayer devant chez soi. Et on dirait que le grand nettoyage ne fait que commencer.

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