FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Mais qu’est-ce que tu fais à poil Milo Moiré ?

On a discuté sexisme, nudité, psychologie et immigration avec l’artiste la plus polarisante de ces dernières années.
All images courtesy of Milo Moiré

(NSFW) Cet article contient des images pouvant choquer. 

Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Milo Moiré.

Vous situez cette scène dans le film Deadpool, lorsque Wade colle – par mégarde – une grosse châtaigne à une méchante ? Il se rend alors compte que son ennemie est une femme et s’excuse immédiatement : “est-ce sexiste de te frapper ? L’est-ce tout autant de ne pas te frapper ?” Milo Moiré me plonge dans le même dilemme.

Publicité

Jeune muse et performeuse d'une trentaine d'années, Milo Moiré est connue pour ses happenings où elle apparaît nue dans un musée avec un bébé dans ses bras ou dans le tramway de Düsseldorf avec uniquement les noms de de ses vêtements peint à même la peau. Ou en train de faire des selfies à poil place du Trocadéro. Avec PlopEgg #1 - A Birth of a Picture (2014), elle avait copieusement volé la vedette aux exposants de la foire d'art contemporain de Cologne, en pondant par son vagin des œufs plein de peinture sur une toile blanche, présentée sur le parvis du salon. Nudité comme facteur d’égalité et utilisation de son sexe comme source originelle de la création composent ses justifications.

Sauf que Milo Moiré est une Barbie ultra-médiatique qui s’exhibe presque autant que le clan de Kanye —  nan mais allez faire un tour sur son Instagram — et vend ses photos et vidéos uncensored sur le site www.unlimitedmuse.com. Récemment, l’artiste, qui est également diplômée de psychologie, a posé nue face à la cathédrale de Cologne avec une pancarte sur laquelle on pouvait lire “Respectez-nous ! Nous ne sommes pas du gibier, même quand nous sommes nues !”. Elle “réagissait” alors aux fameuses violences du Nouvel An 2016 durant lesquelles la police fédérale avait effectué des vérifications sur 31 “suspects”, dont 18 demandeurs d'asile. Une contribution artistique des plus fines, qui n’avait pas vraiment apaisé le débat sur l’accueil de réfugiés syriens, irakiens ou afghans dans la Rhénanie-du-Nord-Westphalie pudibonde.

Publicité

S’il restait quelques poils à Milo, j’ai l’impression qu’on pourrait y sentir un peu d’exhibitionnisme marketté, ainsi qu’un énième relent de tentative de subversion et de provoc par le nu. Ou peut-être tout simplement le sexisme inconscient et décentré de l’auteur. Je ne sais pas.

Milo Moiré, de l’Art ou du micheton ? Comme Deadpool, on est parti sur la ligne de front pour questionner l’intéressée en face to face.

The Script System (2013), Dusseldorf, Allemagne

Milo, tu as un secret pour ne pas tomber malade après tes performances ?

(Rires) Pas de secrets en particulier. J’avoue que je tombe régulièrement malade, d’autant que je réalise mes performances à Düsseldorf ou Cologne, pas vraiment les villes les plus chaudes d'Europe. Lorsque je me déplace nue, je me concentre pour que le froid n’altère pas ma performance. J’essaye d’avoir un contrôle maximal sur mon corps et ce qu’il ressent…

Lorsque tu t’es fait embarquer à Paris place du Trocadéro, tu as expérimenté une autre forme de contrôle, celui exercé par la police… 

J’ai passé quinze heures en garde à vue. C’était la première fois que je me retrouvais incarcérée et la première fois que j’étais confronté à la loi de façon aussi brutale. Il faisait froid, la cellule était minuscule et sale. Pourtant j’ai refusé de dormir. Je voulais vivre à fond et jusqu’au bout ce moment d'enfermement. Ce paradoxe d’être ainsi privée de liberté pour avoir utilisé mon corps comme je le souhaitais.

Publicité

Pourtant, le scénario aurait été encore différent si tu avais réalisé ce genre d’action à New Delhi ou à Riyad, j’imagine que tu t’es déjà posée ce genre de questions…

Évidemment et j’ai refusé une performance l’année dernière à Miami car je risquais d’être interdite de territoire américain si je me faisais attraper.

“L’exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende” dixit le Code pénal français.

Et cette même exhibition sexuelle est autorisée en Allemagne et en Suisse. Écoute, je ne cherche pas à questionner les limites légales dessinées pour les sociétés occidentales, qui d’ailleurs restent les plus ouvertes quant à la question du corps et de la nudité selon moi. Je ne cherche pas non plus à interroger la moralité commune. Je célèbre l’Art par la vie, la liberté d’utiliser ou de montrer mon corps comme je l’entends. La dimension publique est au cœur de ma démarche conceptuelle, que je souhaite la plus démocratique et ouverte possible. Une démarche que je veux déployer de façon naturelle, pour tous et pas uniquement un cercle restreint de clients de galeries ou d’institutions muséales aux portes à peine ouvertes. D’autant que le monde de l’Art contemporain est largement dominé par les hommes. Je souhaite m’exprimer au plus grand nombre. Donc le réel et la dimension universelle d’un espace public comme la rue me sont fondamentaux.

Publicité

Quelle place prennent tes études de psychologie dans ton travail d’artiste aujourd’hui ?

La psychologie cognitive m’a appris à empoigner mes sujets avec une certaine rigueur scientifique, dépouillée de jugements moraux, de notions de bien ou de mal. Aujourd’hui j’utilise cette neutralité dans mes actions artistiques. Je la mets au service d’une expérience globale, d’un discours universaliste, que j’espère pouvoir tenir au plus grand nombre. Je suis diplômée de psychologie, mais je me considère vraiment comme une artiste humaniste. Pareil pour le positionnement politique que certains pourraient voir dans mes œuvres. Je me sens féministe de par mon attachement à l’égalité des sexes par exemple, mais je souhaite autant m’adresser aux femmes qu’aux hommes. Mon travail est empreint de messages, mais ils ne domineront jamais mon geste. Un geste qui doit rester libre avant tout.

The Naked Life (2015).

Comment réagissent les gens lorsqu’ils tombent sur tes performances ?

Indignation, incompréhension, interrogation. Beaucoup de gens m’ignorent, certains se rincent l’œil, d’autres rient. Au Trocadéro pour la performance Naked Selfies, les réactions les plus hostiles venaient des vendeurs de Tour Eiffel qui sont devenus très vite super agressifs à mon égard. Justement, ta prise de position sur le parvis de la Cathédrale de Cologne après les agressions du Nouvel An était assez étonnante. Le débat sur les réfugiés déchire l’Europe, il y avait un côté huile sur le feu dans cette performance de début 2016. 

Après ces agressions, la maire de Cologne, Henriette Reker, et les représentants des forces de l’ordre ont conseillé aux femmes de se tenir à plus d’un mètre de distance des hommes. Enfin, la distance d’un bras si je reprends son expression. Soyons clairs, dans cette affaire et comme dans bien d’autres, les femmes ne sont pas fautives. Nous n’avons pas mal agi. Il n’y a aucune raison objective de culpabiliser et je crois qu’au fond, cette performance a soutenu cette idée. Encore une fois, je me place à un autre endroit que le discours idéologique. “Nous n’avons rien fait de mal”, “nous ne sommes pas du gibier” constituent des messages qui transcendent le politique. J’y vois un message, une œuvre qui relève ici autant de la performance que de l’agitation médiatique. Oui c’est ça, une matière nouvelle, entre action directe et expérience virale. Quand au risque d’instrumentalisation, que dire ? Je suis fille d’immigré moi-même alors tu sais… Mais la vitesse d’affluence et le nombre d’immigrés en Allemagne mettent à mal notre capacité d’intégration. Vraiment. Il y a une véritable crise ici de ce point de vue. Et certains droits acquis ici ne doivent pas être menacés par de nouvelles populations moins habituées que nous aux libertés individuelles. Moi, je suis très vigilante de côté là.

Heu… ok.

Théophile est sur twitter et un peu partout ailleurs.