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Culture

Comment Apollinaire et Picasso furent accusés du vol de La Joconde

Chaque semaine, on revient pour vous sur les plus grands vols de l'histoire de l'art.

Ils n'ont pas tout à fait le charisme de James Bond ni même la classe de Fantômas, mais un culot bien à eux qui les a élevés au rang des cambrioleurs de musée les plus célèbres de l'Histoire de l'Art.

Six jours à l'ombre. Six nuits à contempler le plafond de la Maison d'arrêt de Paris la Santé. Guillaume Apollinaire ne pensait pas finir au trou lorsqu'il accepte en 1907 l'offre de son ami Géry Pieret, un joueur de billard belge qu'il héberge chez lui. Les deux hommes s'étaient rencontrés quelques années auparavant alors qu'ils travaillaient dans le même établissement. À l'époque, Pieret avait été renvoyé pour une sombre affaire de chantage. Même si Apollinaire n'est pas sans ignorer les penchants de son ami pour le jeu et l'escroquerie, ce personnage fantasque le fascine inconditionnellement — il s'en inspire pour écrire le personnage du Baron d'Ormesan dans L'Hérésiarque et Compagnie — et l'engage même comme secrétaire pendant un temps. En 1907, Géry lui propose des statuettes phéniciennes sorties de nulle part pour une bouchée de pain, Apollinaire accepte et décide de les revendre à un ami à lui, un artiste qui est en train d'inventer le cubisme : Pablo Picasso.

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Quatre ans plus tard, 9h du matin. Le peintre Louis Béroud se rend au Salon Carré du Musée du Louvre en plein mois d'août pour y croquer son modèle favori, la divine florentine Lisa Gherardini, alias Mona Lisa. En 1911, La Joconde n'est pas encore la star incontestée du monde de l'art telle qu'on la connaît aujourd'hui, mais elle commence à jouir d'une certaine notoriété. Quoi qu'il en soit, lorsque Béroud arrive devant l'emplacement habituel de la toile, La Joconde a disparu ! Entre la Sainte Catherine du Corrège et l'allégorie du Titien, il n'y a désormais qu'un trou béant et quatre clous au mur. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, c'est l'affolement. Le musée est évacué et fouillé de fond en comble. Après des heures de recherche, les responsables du musée doivent admettre l'abominable vérité : La Joconde a été volée. Le même jour, près de soixante-dix inspecteurs sont dépêchés pour passer le musée au peigne fin. Dans le petit escalier menant à la cour Visconti, ils ne retrouvent que le cadre et la vitre du tableau. Le scandale éclate et le directeur du Louvre, Théophile Homolle, est contraint de démissionner.

Les semaines passent et l'enquête piétine. Le Louvre voit défiler des milliers de visiteurs endeuillés qui viennent déposer des fleurs devant le mur dépossédé. Suite au vol, le musée décide de procéder à un inventaire complet de ses collections. Le bilan est effrayant : plus de 300 pièces manquent à l'appel ! Parmi elles, les statuettes ibériques que Pieret avait revendues à Picasso par l'intermédiaire d'Apollinaire quelques années plus tôt. Dans un excès de zèle, Pieret envoie une troisième statuette (volée en 1911 celle-là) au quotidien Paris Journal. Il prétend détenir aussi La Joconde et réclame une rançon de 150 000 francs… La police est alertée mais Piéret quitte Paris précipitamment avant de pouvoir d'être inquiété.

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Paniqué, Apollinaire réalise qu'il a recelé des pièces volées et informe Picasso de la situation. Après avoir hésité toute une nuit quant au sort des deux statuettes détenues par le peintre, ils décident de les rapporter à Paris Journal. Les deux artistes sont arrêtés. Apollinaire est emprisonné pour recel à la Santé début septembre, tandis que Picasso est longuement interrogé. Après enquête, il apparaît enfin que les deux complices n'ont rien à voir avec le vol de La Joconde et ils sont finalement relâchés. Au mois de décembre 1911, l'administration du Louvre se résout à remplacer le portrait de Mona Lisa par celui de Baldassare Castiglione, de Raphaël. Les mois passent. Petit à petit, le scandale s'essouffle. Les Parisiens se font lentement l'idée qu'ils ne reverront plus jamais le sourire énigmatique de leur chère florentine. Pourtant, La Joconde est à Paris…

Sous un lit. C'est là que Mona Lisa va passer deux ans et demi avant de rejoindre l'Italie sous le bras de Vincenzo Peruggia, un immigré italien qui vécut un temps à Paris et qui travailla momentanément au Louvre comme vitrier. C'est lui qui avait placé le verre de protection devant La Joconde lorsqu'elle fut installée dans le Salon Carré, et c'est lui, qui subtilisa le tableau ce matin d'août 1911 à la barbe des gardiens. Craignant de se faire attraper, il l'avait simplement gardé sous son lit pendant que tout Paris cherchait désespérément son larcin. De retour en Italie en 1913, il tenta finalement de revendre La Joconde à un antiquaire florentin, Alfredo Geri qui finira par le dénoncer.

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Peruggia est jugé en juin 1914 en Italie. Devant la Cour, il affirma qu'il avait voulu rendre à son pays le chef-d'œuvre de Léonard de Vinci. Il raconta aussi qu'il avait volé le tableau parce que Mona Lisa ressemblait à un amour de jeunesse disparu… Il fut condamné à sept mois de prison, non sans avoir attendri le cœur des Italiens. La Joconde fit une tournée triomphale à Florence, Rome et Milan avant de rentrer à Paris le 31 décembre où elle reprit tranquillement sa place au Louvre.

Cette incroyable histoire fut adaptée au cinéma en 1966 par Michel Deville, on est quant à nous, à la recherche de l'affiche — qui n'est pas disponible sur ce génial site d'affiches vintages.

Lucie Etchebers-Sola enquête en ligne et sur Twitter.