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Creators

Il paraîtrait que le Street Art n'est pas mort

Il survivrait malgré lui grâce à l'exposition Grand 8 de La Réserve de Malakoff.
La Réserve de Malakoff. Toutes les photos sont de l'auteur.

Le street art français vient d’emménager dans un énorme hangar de 2 000 m² à Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, et il compte bien y faire la fête jusqu’au 30 octobre 2016. Le nom de sa coloc de quelques mois, c’est La Réserve, un espace d’exposition qui réunit une cinquantaine artistes du street art, dont Anis, Nosbé, M. Chat, Mademoiselle Maurice, Shaka, Mosko ou encore Seize Happywallmaker, au sein d’une exposition intitulée le « Grand 8 ». Cet espace éphémère sera détruit à l’automne prochain. D’ici là, il promet d’être un haut lieu de l’art urbain français.

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La Réserve, qui s’est choisi comme thématique «l’infiniment vivant», se décrit autant comme un lieu d’exposition, avec ses œuvres géantes, son espace galerie et ses installations sensorielles, que comme un espace d’événements, avec sa scène pouvant accueillir des groupes et son bar assouvissant la soif des visiteurs. Le tout est né de l’imagination de l’artiste Anis, alias Hadrien Bernard, et de Hanna Ouaziz, une avocate reconvertie dans la création de projets culturels. Le duo voulait profiter de ce lieu monumental avant sa destruction, qui laissera place à un projet immobilier, pour donner une vie éphémère à un vivier de créativité un banlieue parisienne.

The Creators Project est allé discuter avec Hanna Ouaziz pour savoir comment c’est d’organiser un événement de cette envergure, ce que l’on peut y voir et ce que fout une avocate dans le monde du street art.

The Creators Project : Salut Hanna, d’où vient l’exposition le Grand 8?
Hanna Ouaziz : Le projet a plusieurs origines. D’une part, l’idée était de promouvoir le street art dans une démarche artistique la plus aboutie possible. On voulait montrer qu’avec peu de moyens et de la récupération, le street art peut dépasser le cadre du mur, notamment à travers la thématique du volume. D’autre part, avec Hadrien, on voulait marquer l’histoire du street art en posant notre pierre et faire avancer le mouvement, quelque part, afin qu’il soit davantage connu et reconnu. On voulait aussi surtout mettre en avant des artistes qui, pour certains, sont encore au stade de l’anonymat.

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Qu’est-ce qu’on peut voir à la Réserve?
On peut y voir un monde un peu merveilleux. L’idée était de faire cohabiter différentes technique à travers des pochoiristes, des grapheurs, des peintres, des sculpteurs, des plasticiens, des colleurs. On peut y voir un enchaînement d’installations en volume qui reflètent la perception qu’ont eu les artistes sur la thématique de l’expo: le vivant et l’infini. C’est une œuvre collective géante composée de plusieurs œuvres, qui deviennent une seule œuvre: le Grand 8.

Comment c’était de faire travailler 50 artistes différents qui ont chacun leur vision?
Ça a été assez complexe à agencer, mais il y a eu beaucoup d’affinités entre certains artistes qu’on a fait se succéder dans le parcours. Il y a aussi eu beaucoup de communication, de conciliation, d’écoute et d’un cadre qui a fonctionné. Il a fallu être tout le temps présent et répondre à toutes les demandes matérielles et humaines des artistes. C’est plus que concilier 50 artistes, c’est au moins 100 personnes, parce qu’il y a les artistes, mais aussi les constructeurs, le travail avec la ville, les élus, la presse… À deux, une telle coordination ne s’annonçait pas évidente.

Comment vous avez trouvé ce lieu?
Le lieu a été mis à disposition par un entrepreneur-constructeur, Jean-Marc Vibert, gérant de l’entreprise qui possède l’entrepôt. Quand on a découvert cette mise à disposition, on a commencé à imaginer cette exposition. On a ensuite rencontré plusieurs artistes, commencé à présenter notre programmation et à vraiment rédiger notre projet dans sa globalité. C’est un projet à la fois social et artistique. On souhaitait en faire un lieu qui accueille des enfants à travers des visites et des ateliers, qu’il y ait de l’animation culturelle autour de l’art, avec de la musique, du théâtre. On a présenté notre projet initial à la ville en juin 2015. Ça a mis beaucoup de temps avant que ce soit instruit. On a ensuite beaucoup travaillé seuls avec Hadrien pendant cinq mois. Puis tous nos dossiers et nos écrits ont pris forme avec l’arrivée des constructeurs. Ils ont mis en place le parcours et la structure du “8”. Enfin, les artistes sont arrivés après, autour d’avril.

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Que signifie le nom “La Réserve”?
On a choisi ce nom parce que ça englobe à la fois le travail artistique, assez grouillant en terme d’artistes, mais aussi tout l’aspect qui vient ensuite, l’invitation d’autres artistes, de collectifs qui souhaitaient justement pouvoir un jour avoir un lieu comme ça. On a ainsi pu proposer des open-mics de rap avec le collectif La Familiale, des concerts mandingues, afros, de la performance mapping avec le collectif Dérive. L’exposition en elle-même s’appelle le Grand 8 parce que c’est un parcours qui dessine un huit, avec deux salles centrales, un espace événement et un espace galerie, qui forment les deux boucles du huit. À travers ce titre, le Grand 8, on voulait parler de notre thématique: le vivant. Il s’agissait de reconstruire un monde fait de végétaux, d’animaux, d’humains, avec des scènes de vie, de la poésie, de l’humour, tout ce qui touche au vivant. Le Grand 8 est lié à la fois à la thématique et à l’agencement de l’exposition.

La Réserve sera détruite en octobre, qu’est-ce qui va s’y passer d’autre d’ici là?
En plus des événements artistiques organisés chaque semaine, notamment le samedi, il y aura des expositions qui permettront à certains artistes de la Réserve de montrer davantage leur travail par le biais de rétrospectives plus ciblées. Il y en aura par exemple une autour de l’artiste Seize HappyWallMaker, une autre de dix jours avec le collectif NoRules corp. L’idée est de faire d’autres expositions dans l’exposition.

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Le but c’est aussi d’apporter du nouveau au street art et à la scène culturelle francilienne?
C’est surtout de pouvoir proposer enfin un lieu où les prix sont abordables, où on peut se poser. L’idée c’est de sortir de ce schéma de consommation de fêtes, où les gens ne s’arrêtent même pas ou passent d’une œuvre à une autre dans une galerie sans se poser de questions. Ici, les gens viennent plusieurs fois parce qu’ils peuvent pas faire ça vite, il y a trop de choses. C’est une volonté d’obliger les gens, comme nous-mêmes à travers ce projet, de prendre le temps et découvrir les choses tout en retrouvant un peu de son enfance.

Qu’est-ce que vous allez faire après la destruction de la Réserve?
L’idée c’est de clôturer l’exposition par une grande vente aux enchères. Plusieurs projets potentiels se profilent, mais rien n’est arrêté parce qu’on n’a pas envie de consommer du projet non plus. L’idée c’est de faire les choses qui nous semblent intéressantes et appropriées. On est dans le qualitatif et pas dans le quantitatif. Il y a aussi plusieurs plans dans Paris où des gens veulent aménager des espaces vides. On n’est pas une galerie, on veut vivre ce projet et voir ce que l’on peut en faire ensuite. Ce qui est bien, c’est que tous les artistes nous ont dit qu’ils seraient prêts à retravailler avec nous si on refaisait quelque chose. On aimerait aussi exporter tout ça à l’étranger, mais il reste encore plein de choses à faire à Paris.

Tu es passée d’avocate à créatrice de ce projet, tu comptes continuer là-dedans?
Oui. Depuis toute petite, je suis passionnée d’art, je peins, j’ai fait beaucoup de théâtre, j’ai pu travailler dans ce milieu à Londres, j’ai fréquenté beaucoup de milieux artistiques. Travailler dans le droit m’a aussi fait avancer dans le sens où j’ai une détermination, une organisation et un cadre qui font que pour ce type de projet, je sais que je peux apporter ma pierre. Je suis jeune, je n’ai pas énormément d’expérience, mais là, ça a marché et je me sens bien dans ce milieu. C’est vrai qu’une avocate dans le milieu du street art ça peut paraître étrange, peu commun. C’est pas forcément facile d’avoir une légitimité dans ce milieu: j’ai mes connaissances et ma sensibilité artistique, mais je ne suis pas une professionnelle de l’art. Aujourd’hui, les artistes me considèrent, ils m’ont vu me démener. Avocat, c’est un métier d’expérience, ça prend des années avant que tu sois un peu reconnu. Ici, c’est agréable d’avoir de la légitimité auprès d’artistes qui te font confiance et te remercient, ça fait vraiment du bien.

Tu penses ne jamais retourner dans le droit classique?
J’ai envie de poursuivre ce côté organisationnel, mais aussi le côté représentation publique. Hadrien et moi, on a aussi été les curateurs, on a lancé et choisi les artistes. On avait tous les deux nos goûts. J’ai eu certaines affinités artistiques avec certains artistes, Hadrien, lui, en connaissait beaucoup donc il a fait une grosse partie de la sélection. J’ai envie de renouveler ce côté de commissaire d’exposition, avec la gestion juridique et organisationnelle de projets, les relations publiques, la communication, et en même temps tout l’aspect humain et artistique. J’aimerais continuer à lancer des initiatives. Au final, avocat c’est être le moteur d’un dossier, ici c’est pareil. Le droit est l’art sont liés, c’est juste des causes différentes. Ok. On se tient au courant.  Toutes les informations nécéssaires sont sur le site de l'exposition Grand 8.