Belmondo Melki

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Culture

Belmondo n'aurait pas été Bébel sans Laurent Melki

Du « Solitaire » au « Professionnel » : rencontre avec le mec qui donnait vie aux films d'un âge d'or où l'on dessinait les affiches.

[Note de la rédaction] : Jean-Paul Belmondo est décédé ce lundi 6 septembre 2021 à l’âge de 88 ans. Monument du cinéma français, il était un des rares acteurs à faire l’unanimité. Pour lui rendre hommage, on a fait remonter une rencontre avec Laurent Melki, célèbre affichiste qui a su capturer l’essence de « Bébel » mieux que tout le monde.

Cet article vous est présenté par Canal+, qui diffusera en clair la cérémonie des Cesar 2017, le 24 février 2017 à 21h00. Cliquez ici pour plus d'informations. 

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Laurent Melki est un dinosaure carnivore selon ses dires. Un « brontosaurus VHSus », une espèce d'animal qui proliférait dans les années 1980 – époque faste où Bernard Tapie était la personnalité préférée des Français et où on se bousculait encore dans les vidéos clubs pour s'emparer du dernier Rambo. Laurent Melki a survécu à la grosse météorite numérique qui s'est abattue sur sa planète et continue d'exercer trente ans plus tard un métier qui le passionne toujours autant : affichiste de cinéma. C'est aussi à l'aube des eighties qu'il a eu la chance de dessiner et d'approcher son acteur fétiche, un certain Jean-Paul Belmondo – qui sera à l'honneur lors de la prochaine cérémonie des César de ce 24 janvier. Rencontre avec un spécimen en voie de disparition. 

Creators : Bonjour Laurent Melki, d'où venez-vous ? 
Laurent Melki : Pour que vous compreniez d'où je sors artistiquement parlant, je suis obligé de passer par le creuset des années 1980. À l'époque, je travaillais essentiellement sur des films d'épouvante et des films d'exploitation américains, beaucoup de nanars entre autres… Heureusement pour moi, la manne des séries B a commencé à se tarir un moment et j'ai commencé à travailler sur des affiches de films avec de vrais bons acteurs, comme Tony Curtis. En France, dans les années 1980, il y avait un film par an qu'on attendait tous en tremblotant, c'était le blockbuster à la française : le Bébel ! Il me faisait rêver… J'étais vraiment fan au point de courir comme une midinette après sa voiture.

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« Je suis comme une ouvreuse du cinéma qui vous éclaire et vous amène là où vous devez être. Moi aussi j'ai envie de montrer aux gens ce qu'ils vont voir avant de rentrer dans le cinéma, de les faire rêver ».

Et comment êtes-vous passé des films d'horreur kitsch à l'américaine à Jean-Paul Belmondo ?
Pendant un moment, j'ai essayé de grappiller les miettes de Mascii qui était vraiment mon modèle et l'illustrateur (avec un grand « i ») de l'époque. Il faisait toutes les affiches des films qui sortaient, ceux de Charles Bronson, de James Dean et Marylin Monroe… Un jour je l'ai croisé dans une réunion d'illustrateur, il se plaignait d'avoir trop de travail. Du haut de mes 20 ans, je lui ai proposé mon aide mais il m'a dit en rigolant : « Ah non, les gens veulent du Mascii, pas du Melki ! » Je travaillais à l'époque avec Jean-François Davy, un réalisateur qui possédait aussi une société d'édition de films qui s'appelait Fil à Film. Il m'a proposé de refaire tous les visuels des films de Belmondo pour les VHS. Il tenait à ce qu'il y ait une continuité esthétique, du coup après les cassettes j'ai fini par faire les affiches officielles. J'ai dû en dessiner une bonne dizaine dont Peur sur la Ville, le Professionnel, Le Solitaire, Peau de banane, Le Marginal etc.

D'où vient ce style maximaliste qui vous colle au pinceau ? Comment vous bossez ?
Je n'ai jamais eu la chance d'assister aux tournages des films de Belmondo à mon grand regret, je travaillais donc à partir de photos. C'était un vrai challenge de dessiner Bébel ! Être affichiste implique un travail physionomique très laborieux, je voulais que ce soit mieux que les photos en fait. À une ride près ce n'est plus lui vous comprenez ! Évidemment, certaines sont mieux réussies que d'autres. Pour L'Héritier de Philippe Labro par exemple, je n'étais pas vraiment satisfait de mon travail, mais c'est passé… Celle que je préfère en revanche c'est Le Solitaire de Jacques Deray, celle-là est vraiment réussie je trouve. De manière générale, j'essayais de le magnifier au maximum. Côté musculature, j'avais peu être même un peu tendance à en rajouter. N'oubliez pas que je viens de l'épouvante au départ ! Je devais faire marcher mon imagination pour rendre mes affiches mieux que les films en question. Je rajoutais parfois 50kg de muscle à un héros maigrelet et je lui collais une mitraillette dans les mains alors qu'il n'avait qu'un pétard mouillé dans le film… Mais concernant Bébel, sincèrement je n'avais rien pas grand-chose à rajouter : l'énorme typo « égyptienne » qui bouffait toute l'affiche, deux trois cascades en arrière-plan et sa tronche. Ça suffisait.

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Vous l'avez déjà rencontré ?
Oui, deux fois ! La première c'était en 1992. Jean-François Davy qui était ami avec Belmondo m'a proposé de le rencontrer pour lui montrer mon affiche du Solitaire que je venais de terminer. Il m'avait demandé d'essayer de ne froisser personne parce que sur mon affiche j'avais dessiné Carlos Sotto Mayor – une conquête de Bébel qu'on voit vraiment deux minutes dans le film – sauf qu'entre-temps il s'était remarié avec Nathalie Tardivel, alias Natty. Je me suis donc pointé au théâtre Marigny où Belmondo jouait Cyrano. J'attendais en tremblotant avec mon petit dessin et d'un coup j'ai entendu un brouhaha. J'ai aperçu une forme blanche au loin, c'était Bébel le roi soleil dans toute sa splendeur qui arrivait avec sa cour. Mais pas de Natty à l'horizon à mon grand soulagement. Son garde du corps m'a fait signe d'approcher et j'ai montré mon affiche que tout le monde a trouvée super. Je pensais être sorti d'affaire quand Belmondo a crié : « Hey, Natty vient voir ! ». Elle est sortie de nulle part et évidemment elle a tiré une tête longitudinale en voyant l'affiche…

La deuxième fois était tout aussi riche en émotions. Quelques années après l'histoire de Natty, je devais lui montrer un grand dessin original que j'avais fait avec tous ses grands rôles. Je suis allé le rejoindre dans ses bureaux sur les Champs-Élysées. Là encore, il est arrivé tout en blanc, grand seigneur, écharpe au vent. Il sortait du resto, il était « bien » on va dire. Il a attrapé mon feutre et m'a fait la plus grande signature que j'ai jamais vu, genre 40 cm et sur deux étages ! Il a barré l'intégralité de mon dessin ! C'était un déchirement en tout point, de le voir, et de voir mon dessin dénaturé. Il était tellement joyeux qu'il a balancé le feutre sur l'affiche après l'avoir signé et il m'a collé trois giclures de feutre en plus, c'était un grand moment. Après coup, j'ai pensé à peindre par-dessus pour rattraper mon dessin… mais finalement je suis content, j'ai la plus grande signature de Belmondo qui soit !

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Vous savez qu'il est l'invité d'honneur à la cérémonie des César cette année ?
Oui j'ai vu ! Je vais regarder évidemment, comme tous les ans. On va le revoir avec plaisir tout blanchissant qu'il soit, ce monstre sacré…

Laurent Melki en lieu et place de Bébel

Merci Laurent. 

Laurent Melki expose ses affiches jusqu'au 31 mars à l'Aéronef de Lille . Il travaille aussi actuellement sur l'affiche d'un documentaire pour Paris Première réalisé par Jérôme Wybon consacré à Jean-Paul Belmondo.

Cet article vous est présenté par Canal+, qui diffusera en clair la cérémonie des Cesar 2017, le 24 février 2017 à 21h00. Cliquez ici pour plus d'informations. 

Lucie regarde toutes sortes de films depuis son lit, le reste du temps elle est sur Twitter et sur son site