FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Comment j’ai fait carrière en tant que figurante pour des films vietnamiens

Avis à tous les acteurs ratés : il y a du boulot au Vietnam, pour peu que vous soyez enclin à jouer un aumônier dans un remake pourri de Full Metal Jacket.

Les Vietnamiens n'ont jamais eu peur d'une bonne guerre. Cette nation est particulièrement fière d'avoir flanqué une bonne rouste à tous les pays voisins ou coloniaux qui ont tenté de l'envahir : la Chine, le Japon, la France ou les États-Unis, entre autres. Cette superbe se manifeste dans une production continuelle de films de guerre retraçant leurs exploits belliqueux. Étrangement, ces films s'avèrent être un bon filon pour les expatriés, qui s'y retrouvent figurants – ils sont souvent assignés aux rôles de soldats. Après tout, qui ne rêverait pas de devenir la « star » de l'un de ces remakes à petit budget de Full Metal Jacket ?

Publicité

Puisque la population de Blancs qui ont du temps devant eux et pas assez d'argent pour vivre à Saïgon est relativement restreinte – on retrouve essentiellement des profs d'anglais hippies et des Russes en exil – on finit par voir toujours les mêmes gueules sur les écrans vietnamiens. Alors que je sortais avec un Russe, j'avais endossé le rôle d'une infirmière et découvert le monde merveilleux de la figuration au Vietnam.

Généralement, nous partions vers 4h du matin, serrés dans une voiture, vers un marécage lointain où plusieurs scènes de combats de différents films étaient tournées en même temps. Les acteurs et les figurants attendaient le début de leur prise, avachis dans des hamacs de fortune tendus entre deux camions. Le climat étouffant ne permettant pas de faire autre chose que de chasser les mouches. Les étrangers présents n'avaient d'autre choix que de regarder, avec torpeur, cet amalgame invraisemblable de l'histoire vietnamienne.

Kris Wilkins dans le rôle d'un aumônier militaire

D'un côté, des mecs habillés en ninjas (des Cambodgiens, vraisemblablement) se faisaient maltraiter par une milice vietnamienne. De l'autre, des soldats blancs aux uniformes français couraient dans des bosquets d'herbe à éléphants. On entendait des rafales de kalach un peu plus loin ; sûrement un Viêt-cong en train de massacrer des Américains et leurs alliés du Sud Vietnam. Ensuite, une femme autoritaire me grimait en infirmière américaine ou française, en fonction des soldats que je devais soigner.

Publicité

Mes autres camarades figurants devaient eux aussi être polyvalents. Ils pouvaient tout aussi bien jouer un soldat américain qu'un soldat français. Je suppose que faire jouer une même personne dans deux ou trois films en une journée est assez rentable. Et il arrive qu'ils deviennent célèbres. Kris Wilkins, un expatrié britannique qui vit au Vietnam depuis 2007, prétend se faire régulièrement reconnaître dans la rue.

Kris Wilkins s'est progressivement imposé dans cette industrie cinématographique. Il est devenu le principal agent pour recruter des étrangers qui doivent jouer dans ces productions. Nous avons sympathisé lors de cette journée de tournage. Il a accepté de me décrire son travail pour le cinéma vietnamien autour d'une plâtrée de vers à soie frits.

Apparemment, un de ses amis qui travaillait sur une sitcom l'a introduit dans ce business. Kris Wilkins s'est lié d'amitié avec plusieurs membres de la production, qui l'a appelé de plus en plus souvent pour jouer des rôles de blancs. Rapidement, il a recruté d'autres étrangers pour compléter les castings.

Selon Wilkins, cette série raconte l'histoire de « deux filles de la campagne venues à Saigon pour gagner de l'argent facile. Elles finissent par se comporter comme de grosses salopes paresseuses. » C'est à ce moment que Kris débarque ; il joue le rôle du copain un peu connard – un rôle spécialement réservé aux blancs : l'Américain bourré de pognon mais immoral qui réussit presque à séduire une pauvre fille naïve de la campagne pour coucher avec elle avant qu'un brave paysan ne la sauve et finisse par l'épouser.

Publicité

Kris Wilkins dit aussi que lorsqu'il ne joue pas la mauvaise fréquentation ou le soldat, il devient un homme d'affaires américain tout à fait respectable : « Si un film n'implique pas le rejet du petit copain expatrié ou la défaite d'une armée étrangère, les happy end des productions vietnamiennes se concluent en général avec la signature d'un contrat avec une entreprise occidentale. »

Des acteurs nigérians, Kris Wilkins et une actrice vietnamienne lors d'une avant-première

Ces scénarios un peu absurdes reflètent bien la nouvelle idéologie du gouvernement vietnamien, un mélange de communisme et d'économie capitaliste.

Les cachets de Kris Wilkins varient en fonction des films – parfois moins de cinquante dollars pour une petite production locale jusqu'à plusieurs milliers pour un blockbuster australien comme The Sapphires (dans lequel je joue encore une fois l'infirmière). Il paie ensuite les autres figurants en fonction de la qualité de leur travail. Apparemment l'enthousiasme n'est pas la clé du succès. Il considère que les mecs heureux d'être là le sont, soit parce qu'ils ne viennent que pour avoir une expérience originale et non pour payer des factures, soit parce qu'ils veulent devenir ami avec la production et lui voler son job.

Cette éventualité a rendu Kris amer et suspicieux : « Je n'ai jamais autant eu affaire à des hypocrites qui sont prêts à tout pour vous doubler », m'a-t-il déclaré avec véhémence, se rappelant de ses ex-amis qui ont fini par le concurrencer.

Publicité

« Aujourd'hui, quand je croise quelqu'un qui est très excité à l'idée de jouer dans un film et qui raconte qu'il a toujours rêvé de bosser pour la télé, je me dis : Hum, ce n'est peut-être pas toi que je cherche, je vais trouver une personne qui n'a pas du tout envie de jouer les figurants . »

Les hippies professeurs d'anglais sont le cauchemar de Kris : « Soit ils sont très ambitieux et veulent me voler mon job, soit ils décommandent à la dernière minute parce qu'il fait trop chaud, qu'ils sont trop défoncés où qu'ils sont juste incapables de se lever aussi tôt. »

Des figurants américains et nigériens figurant dans The Sapphires

Il doit parfois partir à la chasse de talents un peu plus exotiques que le hippie professeur d'anglais. La première mission de Wilkins fut de trouver un couple d'Allemands un peu âgé, et « qui parlait très bien allemand ». Il a trouvé l'homme très facilement, les retraités allemands étant légion dans le quartier des backpackers de Saïgon. Mais pour la femme, ce fut une autre histoire. Une autre fois, on lui a demandé de trouver « dix Turcs ». Il a grugé le producteur en lui ramenant un groupe de Pakistanais, ce qui n'a pas posé de problème.

Selon Wilkins, les extras les plus durs à trouver restent les enfants blancs. Il a compris que les parents « se sentaient responsables de leur progéniture et qu'ils ne les laissaient pas se faire exploiter ainsi ». Il a ajouté, non sans amertume, que leur seule ambition pour ces gamins était « qu'ils se couchent tôt et qu'ils travaillent bien à l'école ».

Publicité

Les Nigérians sont les acteurs avec qui il préfère travailler. Pourquoi ? Parce qu'ils « travaillent dur et tiennent parole », s'est-il justifié. Heureusement pour Wilkins, les Nigérians représentent la majorité de la communauté africaine au Vietnam. « Les actrices vietnamiennes les adorent », a-t-il remarqué, un peu jaloux.

Son métier d'acteur a-t-il eu un impact sur sa vie amoureuse ? « Vous me demandez si, lorsqu'une fille me reconnaît, ma célébrité l'attire à tel point qu'elle puisse finir dans mon lit ? Eh bien, oui, tout à fait », a-t-il affirmé.

Kris Wilkins en officier de la coloniale, époque Second Empire

Nous sommes partis du restaurant pour nous rendre dans une épicerie. Wilkins m'a montré une belle actrice qui faisait la une d'un magazine. « J'ai couché avec elle », m'a-t-il fglissé. Je trouvais ça difficile à croire, étant donné que je ne me rappelais pas les avoir déjà vus ensemble. Kris m'a raconté comment ils s'étaient rencontrés lors d'un tournage. Elle devait se crasher sur le taxi que conduisait Kris. « Cette scène était très réaliste, c'était à chaque fois un vrai accident, s'est-il souvenu. Elle s'est bien fait mal, mais le réalisateur lui a fait recommencer la scène encore et encore. »