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Société

À la rencontre des migrantes trans salvadoriennes qui ont trouvé la paix à Tijuana

Si vous étiez transgenre et deviez fuir l'un des pays les plus meurtriers au monde, où iriez-vous ?
Daniela Colucci (à gauche) et Francia Camila dans un salon de beauté de Tijuana. Toutes les photos sont de Meghan Dhaliwal

Francia Camila travaille dans un salon de beauté à Tijuana. C’est son jour de repos aujourd’hui, et elle le passe dans un autre salon – cette fois-ci, en tant que cliente.

C'est une petite pièce inondée de soleil et imprégnée des odeurs de coloration et de vernis à ongles. Les clients et les employés bavardent en espagnol. Un petit garçon qui regarde Pokémon tient le bout d'une laisse rose ; à l'autre bout se trouve Nikki, un chien aux poils longs avec un nœud jaune.

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Une femme prend la tête de Francia dans ses mains, la guide vers l'évier et masse son cuir chevelu en rinçant l'excès de coloration brune. Francia ferme les yeux. La coiffeuse, Daniela Colucci, est une de ses vieilles amies. Elles sont toutes deux originaires du Salvador. En observant cette scène paisible, il est difficile d'imaginer le trajet qui les a menées jusqu’à ce salon, cette ville, ce pays.

Francia se fait laver les cheveux par Daniela

Le Salvador, sans être une zone de guerre active, est l'un des pays les plus violents au monde et souffre depuis des années d'une crise des réfugiés d'une ampleur et d'une portée stupéfiantes. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la violence des gangs, les problèmes économiques et la corruption gouvernementale ont entraîné une augmentation de 658 pour cent des demandes d'asile des citoyens en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras entre 2011 et 2016. La situation est particulièrement grave pour les Salvadoriens, qui ont déposé plus de 17 000 demandes d'asile dans les pays d'Amérique du Nord et d'Amérique centrale au cours des six premiers mois de l’année 2016, soit une augmentation de 76 pour cent par rapport à l'année précédente.

Selon l'activiste Karla Avelar, membre de l’association COMCAVIS Trans, le Salvador est un endroit particulièrement dangereux pour les femmes transgenres comme Daniela et Francia.

Averlar explique que son organisation a documenté au cours des deux dernières années plus de 160 cas où des homosexuels, dont la plupart étaient transgenres, ont été contraints de demander l'asile à l'étranger. Parmi les facteurs qui y ont contribué, elle cite « la persécution par des gangs et des policiers en uniforme » ; « des [abus] psychologiques, physiques et sexuels » ; et des « extorsions, tentatives de meurtre ou persécutions ».

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Les crimes de haine contre la communauté transgenre du Salvador s’accompagnent d’une impunité remarquable. COMCAVIS a comptabilisé plus de 600 meurtres de ce type entre 1993 et avril 2016. Un représentant du Colectivo Alejandría, un groupe de défense salvadorien, a déclaré au Washington Blade que son organisation enregistrait en moyenne 16 meurtres de personnes transgenres chaque mois. L’organisation Transgender Europe a recensé 30 meurtres de personnes transgenres et de divers genres au Salvador entre 2008 et 2016. Si ces chiffres varient considérablement, c'est peut-être parce que ces meurtres ne sont souvent pas signalés, par crainte des représailles de la police ou des gangs, qui en sont souvent les principaux auteurs.

« Les gens disent que Tijuana est dangereux, mais je leur réponds qu’ils n’ont pas vu le Salvador » – Francia

En 2015, le Salvador a pris des mesures pour protéger la communauté LGBTQ en adoptant des lois pénalisant davantage les crimes de haine. Mais, à l’instar de nombreux pays, les Salvadoriens transgenres sont particulièrement vulnérables à la violence en raison du manque d'opportunités en termes d'emploi et d’éducation. Bien que le pays ait pris des mesures pour atténuer la discrimination fondée sur le genre au cours de ces dernières années – il a adopté une loi sur l'égalité, l'équité et l'élimination de la discrimination en 2011 – les personnes de genre « non conformes » ne sont techniquement pas protégées par la loi, car l’État ne considère pas les femmes transgenres comme des femmes.

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Ces désavantages économiques sont aggravés par des obstacles juridiques. Les Salvadoriens sont rarement autorisés à changer légalement de nom, et ne le sont généralement que si le nouveau nom correspond au sexe mentionné sur leurs papiers d'identité. De fait, les cartes d’identité des personnes transgenres sont souvent inexactes, ce qui leur pose problème pour « voter, étudier et travailler », selon une étude du COMCAVIS.

« Nous n'avons pas accès à l’éducation », déclare Avelar. Bien que Francia soit allée au lycée, elle a été contrainte de se tourner vers l'économie souterraine pour gagner de l'argent.

Au début de son adolescence, Francia a été travailleuse du sexe. Mais le travail du sexe au Salvador est souvent étroitement lié aux gangs, et Francia a été forcée de prendre part au trafic de drogue. Sa sœur l’a finalement inscrite à l'école d’esthétique et Francia est devenue coiffeuse. Mais elle craignait toujours pour sa vie – elle avait reçu une menace de mort.

C’est ainsi qu’en septembre 2016, Francia a quitté le Salvador avec sa nièce de 23 ans, Rosa Elena España, et la fille de trois ans d'Elena, Melissa Nicet Gaitan. Elena a elle aussi fui pour sauver sa vie : le père de Melissa, un membre de gang, a menacé de la tuer. Elles ont toutes trois pris le bus jusqu’à l'État mexicain de Chiapas, près de la frontière guatémaltèque. Elles ont aussitôt demandé l'asile temporaire, un processus qui a pris trois mois. Francia a essayé de travailler comme coiffeuse au Chiapas, mais on lui a dit que les salons « n'embauchaient que des femmes », si bien qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de se tourner vers le travail du sexe pour survivre.

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Rose Elena España et sa fille Melissa patientent dans le salon pendant que Francia se fait poser des extensions capillaires.

Le jour de repos de Francia est le mercredi ; les week-ends, elle est tellement occupée dans son propre salon qu’elle n'a parfois pas le temps de manger. Mais c’est une travailleuse acharnée, et ce rythme lui convient.

« Le temps passe si vite », s'exclame-t-elle.

De retour au salon de Tijuana, Francia prépare des extensions capillaires. Elena est assise sur une chaise près de la porte d’entrée et regarde Melissa courir dans la pièce dans ses minuscules ballerines noires.

La pose des extensions prend des heures. À un moment donné, Melissa s'agrippe aux genoux de sa grand-tante ; Daniela, concentrée sur la tête de Francia, est imperturbable. Francia fait une couette à Melissa et l'enroule dans un chignon.

Daniela travaillait comme coiffeuse pour une chaîne de télévision au Salvador. Alors même qu’elle prenait des hormones et s'identifiait en tant que femme, la chaîne l’obligeait à s’habiller comme un homme au travail. Elle n'a pas réussi à se procurer d’hormones au Mexique, et étudie désormais de nouvelles options pour obtenir les traitements dont elle a besoin.

Daniela Colucci est transgenre et a entrepris le voyage périlleux depuis le Salvador jusqu’au Mexique. Elle s'identifie en tant que femme, mais n'a pas réussi à se procurer ses traitements hormonaux au Mexique.

Les femmes transgenres représentent une population particulièrement vulnérable au Mexique (aux États-Unis aussi). Une étude parue en juillet 2016 dans The Lancet a révélé que près de la moitié des personnes transgenres prenaient des hormones sans surveillance médicale. La communauté transgenre du pays est également sujette à des niveaux de violence effrayants.

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Un rapport sur les droits de l'homme publié en 2016 par le Transgender Law Center et la clinique LGBT de la faculté de droit de Cornell a révélé que les policiers et les militaires ne protègent pas correctement les femmes transgenres dans le pays et seraient d’ailleurs les principaux « auteurs d’actes de violence ». Cinq femmes mexicaines sur seize interrogées dans le cadre d'une étude du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui avaient été victimes d'abus de la part de la police étaient transgenres.

Francia, Elena et Melissa ont essayé de partir. Francia a une sœur aux États-Unis qui leur a demandé de traverser la frontière. À la mi-janvier 2017, elles sont arrivées à Tijuana et, en quête d'une vie meilleure, ont demandé l'asile au port d'entrée de San Ysidro. Selon Gabriela Martinez, une journaliste qui les accompagnait, elles ont été immédiatement rejetées par les agents des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, qui ne savaient pas qu’elles bénéficiaient de l’asile au Mexique. Ce rejet des demandeurs d'asile semble avoir empiré cette année à la suite de l'investiture du président Trump. La famille est finalement restée à Tijuana.

Il ne s’agit pas d’une décision isolée : étant donné que la crainte de l'expulsion entraîne une diminution du nombre de demandeurs d'asile à la frontière américaine, des milliers de réfugiés ont choisi de rester au Mexique et d'y reconstruire leur vie. Bien que Tijuana ait récemment connu une légère hausse de la violence générale, principalement liée à la drogue, Francia s’y sent plus en sécurité que dans le pays qu'elle a laissé derrière elle.

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« Les gens disent que Tijuana est dangereux, déclare Francia, mais je leur réponds qu’ils n’ont pas vu le Salvador. »

À droite, Rose Elena España est assise avec sa fille Melissa sur les genoux, enfin endormie après des heures d'attente dans le salon de beauté.

Les femmes passent l’après-midi à bavarder. Elles parlent des flics et des membres des gangs qui s'entre-tuent dans leur pays. Elles déplorent le coût élevé de la vie au Salvador, les prix salvadoriens étant en dollars américains. Francia dépensait 130 dollars en courses chaque semaine, alors qu’au Mexique, sa facture s'élève à environ 600 pesos, soit 31 dollars.

Pour l'instant, Francia prévoit de rester au Mexique. Sa situation est loin d'être idéale, mais malgré les difficultés qu'elle a rencontrées, elle semble vraiment heureuse. Elle vit dans une petite maison avec Elena, Melissa et Daniela. Elle a des amis, une vie sociale, et de quoi s’acheter à manger grâce à un travail qu'elle aime.

« Je suis venue à Tijuana pour commencer une nouvelle vie, déclare-t-elle. Et j’aime ma vie ici. »

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Gabriela Martinez a contribué à cet article.