Mario Lundes
Mario Lundes, avant et après photoshop. Toutes les images sont deSteven Burton
Crime

Des portraits de membres de gangs sans leurs tatouages

« J’espère que ces photos donneront au public l’occasion de voir ces gens comme ce qu’ils sont. »

Steven Burton, photographe britannique, vivait à Los Angeles quand il a eu cette idée. Il était en train de regarder un documentaire intitulé G-Dog, qui suit le père Greg Boyle, l’homme qui a lancé le programme Homeboy Industries. Ce documentaire raconte les débuts de Homeboy Industries et suit d’anciens membres de gangs qui essaient de se réinsérer dans la société. À un moment, le documentaire se concentre sur l’importance pour ces gars de se faire enlever leurs tatouages, parce que, désormais, ces gravures ne représentaient plus les personnes qu’ils étaient devenues.

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À cet instant, Steven a eu un déclic. Il s’est dit que les tatouages pouvaient également être retirés de manière superficielle à l’aide du logiciel Photoshop, offrant à chacun, y compris au grand public, la possibilité de voir l’être humain derrière le symbole. Comment ces anciens membres de gangs vont-ils réagir en voyant leur propre visage ? s’est-il demandé. Et comment réagiront les personnes qui n’ont rien à voir avec cet univers en voyant ces gens, que l’on considère comme des voyous, avec l’apparence de personnes lambda ?

Les interrogations de Steven ont été à la base de la série de photos qui suit, qui est ensuite devenue un livre, Skin Deep. On l’a rencontré pour qu’il nous raconte comment c’était de travailler avec d’anciens membres des gangs les plus violents de la cité des anges, et ce qu’il a appris, à travers ce travail, sur l’image, l’identité et le jugement.

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Marcus Luna

VICE : Salut Steven, commençons par le début. Après avoir eu l’idée qui est à la base de ce projet, comment as-tu recruté les gens qu’on voit sur les photos ?

Steven Burton : J’ai passé beaucoup de temps à rencontrer du monde chez Homeboy Industries [une organisation qui aide les anciens membres de gangs à réintégrer la société, NDLR]. Homeboy Industries a été mon principal point de contact pour trouver mes sujets.

Quelle a été leur réaction la première fois que tu as parlé de ton idée avec d’anciens membres de gangs ?
Au début, ils ne comprenaient pas vraiment ce que je faisais. On le voit d’ailleurs assez bien dans le bouquin, parce que les quatre premières personnes dont j’ai tiré le portrait ont l’air un peu désabusé. Regardez les photos de Marcus et Francisco en particulier. Mais dans l’ensemble, la plupart des personnes ont manifesté un certain intérêt pour le projet. Beaucoup de gens se sont même montrés super cool et ils ont demandé à voir les photos. Donc la deuxième fois que je les contactais, c’était pas si compliqué, parce que j’avais quelque chose à leur montrer. D’une certaine façon, ça m’a facilité le boulot pour compléter le projet. Je leur disais, « Je vous montrerai les photos et on fera un petit entretien, » et ils répondaient généralement, « Ouais, t’inquiète. J’ai hâte de voir les photos. » Même s’ils n’avaient pas réussi à aller au bout du programme de Homeboy et qu’ils étaient retournés à leur vie dans les gangs, ils voulaient quand même voir à quoi ils ressemblaient sans les tatouages.

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Francisco Rivera

Où est-ce que tu as pris ces photos ?
J’habitais dans le centre de Los Angeles, près de Homeboy Industries. Donc c’était pas très compliqué de les faire venir dans mon studio. Mais c’était vraiment intéressant de savoir ce que des trucs aussi simples que le fait de se déplacer peuvent supposer pour des membres de gangs. Ils ne voulaient pas aller trop loin, parce que cela impliquait de traverser les territoires d’autres personnes. Et même s’ils avaient quitté leur gang, ils portaient toujours leurs tatouages.

Que ressentent les membres de gangs vis-à-vis de leurs tatouages au quotidien ?
Ils voulaient s’en débarrasser, parce que les tatouages ne représentaient plus les personnes qu’ils étaient devenues. La plupart d’entre eux, surtout parmi ceux avec qui j’ai pu discuter, je dirais que 90% d’entre eux avaient essayé, d’une façon ou d’une autre, de se faire enlever des tatouages.

Tu as travaillé pendant combien de temps sur ce projet ?
J’ai passé quelques semaines à faire les photos. C’était assez rapide. C’était la partie facile du projet. Maintenant, pour ce qui est de la partie retouche des photos, j’ai dû y passer environ 400 heures.

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Dennis Zandram

Tu as dû apprendre énormément de choses sur ces gens et leur univers. Tu pourrais en partager quelques-unes avec nous ?
Tout a commencé avec cette idée sur la façon dont les gens sont jugés. Mais une fois que tu as commencé à passer du temps chez Homeboy Industries, tu rentres vite dans une dynamique où tu apprends chaque jour de nouvelles choses sur ces gens et ça devient très vite quelque chose d’engageant affectivement. Je me souviens que j’avais eu de grosses difficultés à arrêter de fumer, alors imagine quitter ton gang. Ça revient à quitter ta famille, la drogue, remettre de l’ordre dans ta vie et repartir de zéro de l’autre côté. J’ai trouvé ces histoires vraiment très belles.

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Et comment ils ont réagi quand tu leur as montré les photos avant-après le retrait des tatouages ?
La première personne à qui j’ai montré les photos c’est Marcus. C’est le gars le plus tatoué, le plus baraqué et le plus bagarreur de tous. Quand il les a vues pour la première fois, il était content de pouvoir se voir sans ses tatouages. Et puis, après un petit instant, il est devenu silencieux et ses yeux ont commencé à se gonfler de larmes. Il s’est mis à parler de ce que signifiaient ces tatouages, de ce qu’ils avaient représenté pour lui et du fait qu’aujourd’hui, ils n’avaient plus aucun sens. Marcus m’a dit qu’il comprenait pourquoi les gens disaient qu’il ressemblait à son fils. Il ne s’était pas vu sans tatouages depuis très longtemps.

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Marcus Luna

Il y a souvent eu des larmes ?
Ce qui était beau, c’est la façon dont ils s’ouvraient. C’était comme un choc. J’ai eu l’impression que leurs propres émotions les autorisaient à me parler comme quelqu’un de normal. Dans beaucoup d’entretiens, les personnes se sont montrées honnêtes et ont ouvert leur cœur, et j’ai trouvé ça formidable. Beaucoup d’entre eux voulaient montrer les photos à leurs mères. Je crois que cette situation se répète chez pas mal de membres de gangs, leurs pères sont en prison et ils ont grandi avec leurs mères, donc la maman est la personne la plus forte qui existe dans leur vie. C’est toujours les mamans qui essaient de les faire sortir des gangs. Le premier commentaire de Marcus a été « Je veux que ma mère voie ces photos ». Et c’est revenu souvent dans la bouche des mecs qui avaient l’air le plus dur.

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Qu’est-ce qui t’a le plus surpris dans ce projet ?
Le fait que tout le monde a été touché ou ému. J’ai reçu pas mal de mails de personnes issues de différents milieux. Récemment, j’en ai reçu un de la part d’une femme qui bosse dans une prison. Quand des détenus sortent de l’isolement, du mitard, elle leur montre le livre et elle l’intègre dans ses thérapies. Ça m’a vraiment fait plaisir, parce que ça ouvre des possibilités de conversations avec eux tout à fait différentes. Un jour, j’ai reçu un mail d’une autre femme, je crois que c’est une personne aisée de Hollywood. Elle avait des conflits avec ses enfants parce qu’ils ont peur des personnes tatouées. Et elle voulait leur expliquer qu’on ne peut pas juger les gens sur la seule base de leur apparence. J’ai vraiment le sentiment que ce bouquin a touché pas mal de monde et qu’il ouvre un dialogue, une nouvelle approche de la question.

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Calvin Spanky

Quelle a été la partie la plus difficile de ce projet ?
À un moment, j’ai déménagé. J’ai quitté Los Angeles. Quand je suis revenu, j’ai eu quelques difficultés à retrouver les gens que j’avais pris en photo. J’étais resté en contact avec certains d’entre eux, mais les anciens membres de gangs ont cette habitude qui consiste à changer de numéro de téléphone tous les quatre mois. Donc j’ai passé pas mal de temps assis dans la rue, dans les quartiers où ils vivaient. J’attendais là, en espérant qu’on finirait par se croiser. J’ai mis environ six mois à reprendre contact avec tout le monde.

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Tu es encore en contact avec certains anciens membres de gangs ?
Je dirais que j’ai gardé contact avec trois ou quatre d’entre eux. Surtout avec Francisco. Il est venu jusqu’à chez moi, à New York, pour le lancement du livre. J’ai appris que trois ou quatre mecs qui sont en photo dans le livre ont été tués depuis, la triste réalité de la vie des gangs… Quelques-uns sont retournés dans leurs gangs, mais d’autres s’en sortent vraiment bien. L’un d’eux vient d’ailleurs d’obtenir son diplôme. Lorsque je l’ai pris en photo, il sortait à peine de prison. Il était dehors depuis une semaine après avoir passé une vingtaine d’années en taule, et il avait décidé que c’était suffisant, qu’il voulait changer de vie.

Si tu devais résumer toute cette histoire en quelques mots, ce serait quoi ? Quelle est la leçon la plus importante que tu en retires ?

Je crois que ma plus grande prise de conscience, c’est le jour où je me suis dit que si j’avais grandi dans le même environnement qu’eux, je serais probablement dans la même situation aujourd’hui. Et je ne peux qu’espérer que j’aurais eu la chance de croiser le chemin de Homeboy Industries, ou de quelque chose dans ce genre, pour me ramener dans le droit chemin. Mais je dirais que, par-dessus tout, on ne peut pas juger une personne uniquement sur son apparence. Si tu te retrouves à faire ça, prends un moment et réfléchis sur ta propre ignorance. C’est toujours une bonne chose que de passer du temps avec les gens, qui que ce soit, ne serait-ce que pour écouter leur histoire. Et j’espère que ces photos donneront au public l’occasion de voir ces gens comme ce qu’ils sont vraiment.

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Entretien réalisé par Mirjana Milovanovic. Suivez-la sur Instagram.

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Erin Echavarria

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David Piina

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Francisco

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David Williams

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Matthew Perez

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