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Broadly DK

J’ai assisté à la reconstitution d’un « déshabillage » de momie

Au XIXe siècle, l’élite victorienne profanait des cadavres pour le plaisir.
cadavre
Toutes les photos sont de Christopher Bethell

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Les Victoriens avaient le goût du macabre. Quand ils ne passaient pas des heures à poser au côté de leurs proches décédés, ils tentaient de les contacter lors de séances de spiritisme ou se baladaient parés de bijoux renfermant leurs cheveux.

Mais leur pratique la plus sordide – et la moins connue – est de loin le déshabillage de momie en public. L'organisateur de la soirée achetait une momie aux enchères ou auprès d'un vendeur spécialisé ayant des contacts en Égypte, puis faisait passer le mot.

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Aux yeux de tous, il retirait une à une les bandelettes du cadavre afin de voir ce qui se cachait en dessous, au nom de la découverte scientifique et du divertissement. Ces événements avaient lieu en plein contexte d'égyptomanie – période où la fascination des gens pour cet aspect de l'histoire antique a atteint des proportions incroyables.

Certains événements – notamment ceux organisés par le chirurgien Thomas Pettigrew – ont rassemblé près de 3 000 personnes. Pettigrew est loin d'être le premier à avoir déshabillé une momie, mais il est le premier à en avoir fait un spectacle. Si vous pensez que le théâtre immersif est une invention du XXe siècle, détrompez-vous – il existait déjà à l'époque victorienne.

Ayant tout cela en tête, je me rends au Bart's Pathology Museum, à Londres, pour une soirée censée me « transporter à l'époque victorienne de l'égyptomanie », organisée par la spécialiste en parfum Lizzie Ostrom, a.k.a. Odette Toilette, et l'égyptologue John J. Johnston. Ce soir, le duo compte bien suivre les pas de Pettigrew et déshabiller une momie en direct – avec tous les « drames, sensations fortes et mauvaises odeurs » que cela implique.

Quand j'entre dans le musée au son de « Walk Like An Egyptian » des Bangles, on me tend immédiatement quelques tickets boissons. « Nous avons du vin de Xérès, de Madère ou du gin pur », me dit la femme qui se tient derrière le bar de fortune. Je pars sur le Xérès. Je regrette aussitôt. « Pourquoi les boissons sont-elles aussi fortes ? » Je pleure en rêvant d'un Merlot. Apparemment, les Victoriens fortunés aimaient se mettre une cuite pendant la profanation d'un cadavre antique. Peut-être avaient-ils besoin d'un remontant pour supporter cette vision.

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La momie étant en pleine préparation, j'en profite pour flâner dans le musée et faire connaissance avec les spécimens exposés. J'ai plus de 5 000 échantillons médicaux à disposition, et pourtant, je bloque devant un orteil humain conservé dans du formol. Un musée d'anatomie est définitivement l'endroit idéal pour un tel événement.

L'égyptologue John J. Johnston. Toutes les photos sont de Christopher Bethell

Carla Valentine, conservatrice du musée, espère accueillir une centaine de personnes lors de l'événement de ce soir. Je comprends rapidement que, tout comme moi, la majorité d'entre elles n'ont pas la moindre idée de ce qui les attend. « Je ne sais pas très bien pourquoi je suis venue, admet Megan, 36 ans. Mes amis avaient une place en trop pour ce qu'ils ont décrit comme étant un truc faussement victorien, alors je me suis dit "Pourquoi pas ?" Je n'ai jamais assisté à une telle soirée auparavant. »

« Je suis surtout excitée à l'idée de vivre quelque chose de similaire à ce que les gens ont vécu il y a plus de cent ans, m'explique Jaimee, 38 ans. Ces soirées restent un mystère, mais c'est ce qui s'en rapproche le plus. »

John J. Johnston, la momie et Odette Toilette

Le moment que nous attendions tous arrive et la momie est amenée à l'aide d'un chariot médical. S'ensuivent environ deux minutes de cris intenses qu'on croirait tout droit sortis d'un film d'horreur à petit budget – ce n'était apparemment pas intentionnel, mais ça ne manque pas d'ajouter à l'étrangeté de la situation.

Johnston et Ostrom retirent soigneusement la couverture en velours pourpre, révélant un maigre cadavre enveloppé de lambeaux de tissu en lin. Attendez une seconde – je rêve ou cette momie respire ? J'attribue d'abord cette pensée à l'énorme quantité de vin fortifié que j'ai bu en un court laps de temps, mais non, il y a de toute évidence une personne immobile, certes, mais bien vivante là-dessous.

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Ostrom est connue pour ses événements olfactifs, qui sont un peu comme une version live des autocollants à gratter et à sentir. « Je suis toujours à la recherche de nouveaux moyens d'amener le sens de l'odorat à la vie, m'explique-t-elle. J'ai entendu parler de ces événements [de déshabillage de momie] qui, autrefois, semblaient constituer une partie ésotérique de la scène intellectuelle de Londres. Alors j'ai voulu essayer ».

Les membres du public reniflent des bandelettes parfumées censées évoquer les odeurs d'un déshabillage de momie.

Les odeurs font partie intégrante de cette soirée. Au fur et à mesure que Johnston découpe les bandages, les bandelettes odorantes passent de main en main. Ostrom les décrit. La première évoque le tabac fumé par l'hôte victorien – une odeur délicieuse, proche du caramel. Les bandelettes de lin renferment également des odeurs de cire d'abeille et de myrrhe – ce qui traduit le statut de la momie (la nôtre, nous apprend-on après que Johnston a découvert le papyrus avec les hiéroglyphes, était autrefois prêtre). Nous nous échangeons également un bol rempli de mousse utilisée comme rembourrage, semblable à la paille de fer que l'on trouve dans les animaux empaillés. J'ai également l'occasion de toucher une croix Ankh en métal – le symbole égyptien de la vie.

Le corps de la momie est couvert de baies de genièvre – on en trouvait souvent dans les vieux tombeaux égyptiens. Je respire profondément et inspire leur senteur. Malheureusement, la première chose qui me vient à l'esprit est un mauvais souvenir de fac – une nuit passée à boire du gin avant de vomir partout dans le dortoir. Je n'aime pas y repenser.

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Un acteur, peint en marron et doré, joue le mort.

Johnston parvient à couper les bandages qui couvrent le torse de la momie, et soudain, la vision de ses tétons dorés, parfaitement accordés à ses ongles, me tire de ma déchirante réminiscence. Apparemment, les ongles des momies égyptiennes étaient peints de sorte à ce qu'ils ne se détériorent pas pendant le processus d'embaumement – quant aux tétons, c'est un mystère.

La soirée touche à sa fin. Pendant l'embaumement des corps, les Égyptiens retiraient le cerveau par le nez et liquéfiaient tout ce qui pouvait rester à l'intérieur. Pettigrew et ses pairs fissuraient le crâne pour prouver qu'il ne restait plus rien. « Je ne vais pas faire ça, ce soir », me précise Johnston pendant que la momie se lève sous les applaudissements enthousiastes. La momie n'est autre qu'un acteur couvert de peinture marron et dorée – l'éthique médicale des temps modernes veut que les corps soient traités avec plus de respect que dans les années 1800.

Du matériel chirurgical victorien, traditionnellement utilisé pour déshabiller les momies.

Si la « momie » d'aujourd'hui a pu se lever de la table et partir, je me demande ce qu'il advenait des véritables cadavres de l'époque victorienne. La réponse est assez sinistre. Si quelques-uns ont été exposés dans des musées, beaucoup d'autres ont été vendus à des fabricants qui les réduisaient à l'état de poudre pour en faire de la peinture – une couleur riche appelée « marron momie », très populaire chez les peintres préraphaélites.

« Elles finissaient leurs jours en ornant les maisons de la haute société », précise Johnston. D'autres momies d'humains ou de félins (les chats étaient vénérés comme des dieux à l'époque égyptienne) étaient utilisées comme engrais.

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Odette Toilette et la « momie »

Le déshabillage de momie était sans aucun doute très populaire chez les Victoriens. Mais comme nombre de tendances – le normcore, Pokemon Go, les clowns tueurs – il a connu son heure de gloire avant que la société ne passe à autre chose. J'en demande la raison à Johnston.

« Les déshabillages de Pettigrew se ressemblaient tous – je pense que le public s'est lassé, déclare-t-il. Une fois cette tendance passée de mode, il y a eu des histoires de momies qui revenaient à la vie, comme celles de Sir Arthur Conan Doyle [l'auteur de Sherlock Holmes]. S'ensuivit une multitude de rumeurs concernant de potentielles malédictions. Ça impressionnait plus le public que la simple vision d'un cadavre. »

Le dernier déshabillage connu de momie en date a eu lieu en 1908 à Manchester. Il a été réalisé par la première femme à être nommée maître de conférences en archéologie au Royaume-Uni, Margaret Murray, et a attiré 500 personnes. Mais à ce moment-là, les attitudes avaient changé – les gens commençaient à comprendre qu'il était tout sauf cool de disséquer un corps pour le plaisir, et même si Margaret a insisté sur l'aspect scientifique de la chose, elle s'est heurtée à une foule de critiques de la part de la presse.

Pour les Égyptiens des temps anciens, protéger le corps pour l'éternité était primordial et, par conséquent, la pratique de l'embaumement l'était aussi, de même que le soin qui y était apporté. « Ces soirées de déshabillage public étaient vraiment dégoûtantes, rappelle Johnston. Les cadavres sont censés être traités avec respect. Je suis content d'avoir joué le jeu ce soir, mais je serais incapable de le faire sur une momie authentique. »