Il faut canoniser HR Giger

Au fond, il n'y a presque aucun artiste dont la Suisse soit aussi fière que HR Giger. Malheureusement, le cercle artistique suisse semble encore refuser à ce génie la place de choix qu'il mérite. Mais tout Suisse n'étant pas complètement décérébré ne peut qu'apprécier cet artiste.

Ce ne sont donc pas les puristes qui apprécient son travail, mais plutôt les personnes qui apprécient les choses bien. C'est pour cette même raison que la carrière de Giger a débuté dans le magasin de posters de Hans H. Kunz plutôt que dans une galerie. La ville de Paris a finalement eu pitié de l'ignorance culturelle helvète et a nommé Giger citoyen d'honneur.

Rien que pour l'esquisse de « l'Alien », Hans Ruedi Giger aurait mérité d'être momifié au même titre que les plus grands pharaons. On s'en fout donc un peu de savoir quel épisode de la Saga est le meilleur ou s'il s'agit d'une production à but purement commercial. Car, avec Alien, la Suisse complète le panthéon cinématographique en offrant à ce dernier une de ses icônes les plus marquantes.

Cette même Suisse, un peu lente au démarrage, aurait dû ouvrir à Giger les portes de ses musées. Au lieu de cela, l'artiste a trop souvent été traité comme une bête curieuse, et ce jusqu'à sa mort.

C'est cette « myopie artistique » de la part des helvètes que Belinda Sallin veut corriger dans son film Darkstar. Le film commence par une lente introduction dans l'enclave « gigerienne » : un travelling de la caméra à la manière des films d'horreurs des années 1970 pénètre par la porte d'entrée dans l'antre de Ruedi Giger. Les murs sont noirs et des ombres asymétriques s'y détachent.

Tout comme son propriétaire, la vieille baraque gémit au moindre mouvement. Giger ressemble à une créature du Cauchemar d'Innsmouth. Son apparence rappelle celle de l'amphibien esquissé par Lovecraft.

Capture issue du film Darkstar

Pour commencer, l'artiste nous explique, à l'aide de son plus ancien crâne humain (il en possède donc plusieurs), l'élément central de son art : le rapport que l'on entretient avec sa propre peur. Il nous raconte comment, étant petit, il avait attaché cette relique à une ficelle et l'avait promenée le long de la rue pour démontrer qu'il ne craignait pas la mort.

Giger expose de manières diverses « l'horreur de la naissance », le traumatisme originel de l'homme. Ce concept est le mieux capturé dans le jardin de Giger où est construit une sorte de train fantôme rappelant le canal vaginal. Dans le film, cette perception tardive et tragique est initiée par la dernière femme de Giger, Maria Giger, qui ouvre à cet artiste les portes abyssales de l'âme humaine.

Sa femme expose en quelques mots son accès aux mystères de l'alchimie pendant que, de son côté, Giger souligne son athéisme. Athée sans religion, sans vie après la mort, sans mauvais esprits,sans anges ni démons : l'œuvre de Giger est vouée à la psychanalyse du « moi ».

Les commentaires des proches de Giger constituent la majeure partie du film, où agent, frontmen, collègues fidèles et amis affirment leur affection pour lui. Il est donc difficilement envisageable que Giger ait été un personnage si sombre.

Il semble que le raisonnement du « petit Suisse » n'ait pas beaucoup évolué à travers les siècles. Ce dernier a souvent pensé ce que lui dictait une « élite » autoproclamée. Les Suisses ont donc été chefs de file pendant la chasse aux sorcières et n'ont pas accepté Giger au Kunsthaus Zürich. Les Suisses ont le même rapport au temps que le Vatican : malgré toutes les montres dont nous disposons, nous souffrons d'un retard chronique. Nous étions les derniers en Europe à brûler une « sorcière » et aujourd'hui, nous comprenons également en dernier la perte que représente le décès de HR Giger.

Cet article paraît malheureusement trop tard. Giger ne vivait qu'à quelques kilomètres de mon appartement. Mais je ne suis jamais allé sonner à sa porte. De plus, la première de Darkstar date déjà de presque deux mois. Une raison de plus pour aller le voir au plus vite.

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