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Culture

Aubervilliers en 1945, ses bidonvilles et ses « gentils enfants »

Filmée par Eli Lotar et racontée par Jacques Prévert, la misère qui régnait à Aubervilliers après la guerre avait presque quelque chose de poétique.
Images : Aubervilliers (Film) 1945-1946, Eli Lotar. Épreuve gélatino-argentique d’époque, 18 x 24 cm. Don de M. Jean-Pierre Marchand en 2009, collection Centre Pompidou, Paris, MNAM-CCI. © Eli Lotar.

« Gentils enfants d'Aubervilliers, gentils enfants des prolétaires, gentils enfants de la misère, gentils enfants du monde entier ». C'est sur ces jolies paroles tristement chantées par Germaine Montero qu'Eli Lotar a choisi d'ouvrir son film Aubervilliers, tourné en 1945 dans le dédale des rues délabrées de la banlieue parisienne.

Règne alors dans la petite ville une pauvreté ordinaire où la guerre est venue ajouter ses ruines à celles du passé. Cinquante-cinq mille ouvriers s'entassent alors avec leurs familles dans des taudis sans âge qui menacent à tout instant de s'écrouler. Partout sur les quais, dans les rues et les usines, Eli Lotar a capturé les visages de ces gens marqués par des vies de labeur. Mais là où tout semble terne, le photographe et cinéaste français d'origine roumaine révèle une fragile lueur. Dans les sourires innocents des enfants qui vivent dans un monde qu'ils n'ont pas encore à juger ; dans les gestes des maraîchers qui cultivent leurs légumes comme autrefois dans le dernier potager d'Aubervilliers ; dans la lassitude tranquille de ces familles qui ont simplement accepté leur sort. « C'est la vie », qu'ils disent.

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Commandité à l'époque par la municipalité communiste d'Aubervilliers, ce film — le dernier d'Eli Lotar — fut longtemps diffusé par les maisons de production et de distribution proches du Parti Communiste. Retiré des écrans le week-end pour ne pas heurter les familles, il témoigne des misérables conditions d'existence de la classe ouvrière après la Seconde Guerre mondiale. C'est dans cette veine poétique et politique du cinéma documentaire, qu'on a qualifié de « Nouvelle Vision », que s'est engouffré Eli Lotar, dans le contexte sociopolitique des années 1930. L'exposition qui lui est actuellement consacrée au Jeu de Paume, à Paris, témoigne de la singularité de son œuvre photographique et cinématographique, et permet de prendre la mesure de son implication au sein la scène artistique postmoderniste des années 1920.

Une projection gratuite du film Aubervilliers d'Eli Lotar est prévue le mardi 14 mars à 18h30 à l'auditorium du Jeu de Paume, suivie d'une rencontre avec l'historien Paul Smith et l'artiste Paloma Polo qui reviendront sur l'histoire de la ville. Toutes les infos ici.

L'exposition « Eli Lotar (1905-1969) » est à voir au Jeu de Paume, à Paris, jusqu'au 28 mai 2017. Plus d'infos .