Une brève histoire du caca dans l'art

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Une brève histoire du caca dans l'art

Peindre avec, en sculpter, en fabriquer, en vendre : depuis des siècles des artistes utilisent la merde comme médium.

Depuis l'après-guerre, plusieurs artistes ont choisi le caca, soit en s'en servant pour peindre, soit en le représentant. Forcément dérangeante, cette appropriation de ce grand tabou du corps humain dans des créations contemporaines est un acte fort qui ne laisse pas indifférent. Preuve de l'intérêt suscité par ces œuvres si particulières, de nombreux collectionneurs, musées et critiques n'ont pas hésité à les acheter, les exposer ou à en vanter les qualités.  Soit par goût ultime de la provocation, soit par réelle fascination pour cette matière chaude, gluante et malodorante que nous produisons quotidiennement, le caca est devenu par leur biais un champ d'expérimentation artistique à part entière. Peintures, sculptures, installations, machines tout est possible. L'art n'a pas de limite et certainement pas celle de nos déjections intimes !  Peindre avec du caca Précurseur en la matière, l'artiste belge Jacques Lizène s'est fait connaître dans les années 70 pour avoir remplacé ses tubes de peinture par des excréments qui sont l'élément essentiel de la composition de ses tableaux. Évidemment, le champ chromatique se trouve réduit, oscillant du marron au jaune-beige. Mais l'artiste n'en a cure, la question esthétique n'est pas au centre de sa démarche. Son travail se veut inutile, nul et dérangeant et son utilisation du caca est avant tout une vive critique de l'estalishement artistique. Lizène se pose en pourfendeur du système des galeries et des collectionneurs en proposant des peintures de merde au sens propre du terme. Une démarche politique dont l'excrément devient le vecteur.

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Un mur peint en merde par Jacques Lizène

Au milieu des années 90, l'artiste britannique Chris Ofili, premier black à remporter le Turner Prize, avait défrayé la chronique avec son œuvre The holly virgin Mary. Membre des Young British Artists, Offili avait représenté la mère de Jésus avec des coupures de magazines pornographiques rehaussées de bouses d'éléphants. Le cul et le caca ont toujours eu de très bons rapports.

Tout récemment, une descendante de Pablo Picasso a révélé que celui-ci avait utilisé, lors de sa période brune, des excréments de sa fille pour peindre certains tableaux. En effet, le maître espagnol considérait que leur couleur brune était parfaite et qu'il n'obtiendrait pas le même résultat avec de la peinture classique.

Transformer le caca en art Provocateur né, l'artiste italien Piero Manzoni a été le premier à vendre ses propres excréments comme œuvres d'art. Partant du principe que tout ce qui sort d'un artiste est potentiellement de l'art, sa série Merde d'Artiste qui date de 1961, composée sous l'influence des ready-mades de Marcel Duchamp, est constituée de 90 boîtes de conserve, hermétiquement fermées, qui contiennent chacune 30 grammes du caca de l'artiste. Au départ Piero Manzoni avait pour ambition de vendre ces 30 grammes de caca au même prix que l'or… sauf qu'aujourd'hui chaque unité de 30 grammes est estimée au prix de 3 kg d'or ! Attention néanmoins aux fuites, certaines boîtes avec le temps ont réservé de mauvaises surprises olfactives à leurs propriétaires.

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Les merdes d'artistes de Piero Manzoni

Le plasticien belge Wim Delvoye s'intéresse quant à lui de très près à nos tuyauteries internes avec son œuvre Cloaca créée en 2000 Après 8 ans de travail, il a réussi à reproduire avec minutie le processus qui amène les aliments à se transformer en matière fécale grâce à une installation spectaculaire.  Conseillé par des  scientifiques et des ingénieurs, Delvoye a construit une machine de grande taille, 12 mètres de long et 2 mètres de haut, qui simule les processus à l'œuvre dans notre système digestif. La matière qui rentre dans Cloaca - des aliments fournis par des traiteurs - se transforme inévitablement en caca en passant par six cloches en verre, reliées entre elles par un arsenal de pompes et de tuyaux, qui contiennent des sucs, des bactéries, des acides et des enzymes, le tout baignant dans un milieu très humide. Maintenues à la température du corps, les substances subissent alors le processus de digestion jusqu'à son stade final.

Le caca qui sort de Clocoa est mis en boîte et estampillé d'un faux logo pour faire un pied de nez à la société de consommation. Chaque unité est vendue aux alentours de 1000 dollars. C'est bien sûr parfaitement inutile, de l'aveu même de son créateur.  À noter que cette œuvre a eu un franc succès puisqu'elle a été exposée à New York, Zurich, Vienne, Düsseldorf, Lyon, Toronto… Et qu'elle a eu plusieurs déclinaisons - huit versions en tout - dont une "Turbo" pour les cacas rapides et du papier toilette ainsi qu'une poupée à son effigie. Des industriels de l'agroalimentaire sont même rentrés en contact avec Delvoye pour pouvoir tester leurs produits, du moment où un client les ingère au moment où il les libère, ce que l'artiste a toujours refusé.

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Le caca, moyen d'expression radical des artistes Très ostentatoire, le plasticien américain Paul McCarthy ne fait pas les choses à moitié. Chantre du mauvais goût et apôtre du non politiquement correct à qui l'on doit notamment des travaux autour des plugs et des godemichets, il a exploré en 2008 le thème du caca avec sa sculpture géante gonflable Complex Pile rebaptisé de façon plus appropriée Complex shit. Cette œuvre représente, d'une manière tout à fait esthétique, une grosse merde de chien de quinze mètres de haut ! Exposée à Berne au Zentrum Paul Klee puis à Hong Kong où elle fut endommagée par une tempête, cette œuvre marque la volonté de l'artiste de se moquer ouvertement de ce que peuvent penser le public et les critiques.

Self Portrait, Andres Serrano

Andres Serrano, photographe majeur de la scène artistique contemporaine, sulfureux à souhait via des sujets dérangeants qui touchent à la religion et à la politique, et qui avait subi le feu nourri des critiques - notamment en provenance des milieux catholiques - avec sa photographie Piss Christ s'est quant à lui auto-représenté sous la forme d'un gros étron photographié en gros plan dans son œuvre Self Portrait. Provocante, cette œuvre qui date de 2008 a été réalisée en pleine période de doute intense de Serrano. Comme si l'artiste voulait nous dire qu'il n'était qu'une merde.

Plus récemment, c'est dans les rues de New York que le street artiste Gold Poo officie avec un concept original : recouvrir de peinture dorée les merdes de chien qui jonchent les trottoirs.  En essayant de couvrir prioritairement les quartiers où les chiens ont tendance à se lâcher davantage. Reste à savoir si marcher dans la merde dorée du pied gauche vous rendra riche.

Arnaud Pagès est sur Twitter.